Article 31 : Dark
Série : Dark
Réalisateur et co-scénariste : Baran bo Odar
Genre : Science-fiction
Dans une atmosphère sombre et pesante, les habitants d’une petite
ville sont confrontés surnaturellement à leur passé, et vont tenter de résoudre
les mystères qui en découlent.
Le pitch de Dark est assez clair, et somme toute assez classique. Nous
sommes en 2018, et les histoires de voyage dans le temps n’ont rien de
novateur. Le cadre n’est pas sans rappeler Stranger Things quoi que l’on en
dise, particulièrement dans les premiers épisodes. Le jeu d’acteur est bon sans
non plus pouvoir être qualifié de transcendant. Les personnages sont plutôt
bien écrits et ne sombrent pas dans l’écueil facile des clichés (ce qui est le
cas, volontairement, dans Stranger Things). La bande son est remarquable, et
les décors sympathiques.
Bref, la matière est là, pour une série correcte du moins. Mais dans
le domaine de la science-fiction, l’exigence est bien plus importante que pour
n’importe quel autre genre, probablement sans compter la fantasy. En effet, là
où une série policière peut se contenter d’une lente trame latente et globale,
ponctuée de mini-scénarios, une série de science-fiction doit se reposer sur un
scénario en béton armé pour être efficace, ou au moins compenser cela par une
excellence dans un autre domaine.
La raison est simple, les gens sont moins demandeurs de ce genre de
série, probablement parce qu’elles demandent de s’immerger davantage, qu’elles
nécessitent une échappée par rapport à la réalité. Un effort que l’on n’est pas
forcément à même de fournir lorsque la fatigue d’une journée de travail vient
enrayer notre volonté.
Là où Stranger Things, pour continuer le parallèle le plus évident, se
base essentiellement sur l’aspect nostalgique pour embarquer le spectateur,
saupoudré d’une timide pincée d’horreur, Dark se présente sous un jour bien
plus mature. Mon sentiment après le visionnage aura été que j’aie rarement été
confronté à une série mettant en scène des concepts aussi complexes et les
traitant aussi bien. Les voyages dans le temps sont gérés avec une logique que
l’on pourrait qualifier de mathématique. Cela est poussé au point que la
question qui nous hante dans une histoire de ce type et dont souvent la réponse
nous est rabâchée pendant tout le déroulement pour nous en convaincre, n’a
presque plus lieu d’être.
Parce que le libre-arbitre, dans un univers qui tient sur l’équilibre
précaire disant que tout doit suivre un chemin balisé, c’est dangereux.
Pourquoi le personnage, à ce moment, ne dévierait-il pas de la trame fixée par
le temps, et surtout, qu’est-ce que cela engendrerait vraiment (question à
laquelle on ne peut pas vraiment fournir de réponse) ? Dans Dark, on ne
passe jamais vraiment par cette étape, parce que les événements se déroulent de
façon logique et fluide. En effet, à aucun moment un personnage ne se force à
agir d’une certaine manière pour faire en sorte que la trame du temps reste
telle quelle.
Dans ce genre de scénarios, trop souvent, les protagonistes sont
esclaves du déroulé, et leurs choix sont motivés, ironiquement, pour solidifier
la trame dans laquelle ils évoluent. Comme s’ils avaient conscience qu’en cas
de faux pas, tout le scénario tomberait à l’eau. Quand on y pense, c’est
presque malhonnête (bien que justifiable) de les faire agir ainsi. Encore une
fois, dans Dark, aucun personnage principal n’a réellement cette motivation
extérieure à ne pas toucher au Temps.
Evidemment, la version adulte de Jonas fait en sorte que rien ne dévie
de ce qui s’est passé, et prévient les autres personnages. Mais puisqu’il a une
idée derrière la tête (détruire la faille temporelle), on peut le comprendre.
Et puis bon, c’aurait été un miracle si une histoire temporelle pouvait
vraiment se passer de cet élément, et quand même tenir debout. C’est tellement
atténué par rapport à d’habitude que ça ne pose pas vraiment de problèmes.
Assez parlé de l’élégant déroulé de la série, concentrons nous
maintenant sur deux aspects de la série qui selon moi en font sa force :
d’abord l’ambiance, et ensuite (et surtout), les personnages. L’ambiance mérite
quelques mots puisqu’elle est réellement oppressante, bien plus sombre (sans
mauvais jeu de mot) que dans Stranger Things finalement. On peine à entrevoir
quoi que ce soit de positif dans les histoires racontées par cette ville isolée
d’Allemagne. Là où certains nœuds scénaristiques pourraient trouver un
dénouement joyeux, tout est fait pour que personne n’y trouve son compte. Les
couleurs sont ternes, la joie peu présente, et la tension est toujours là.
Cette atmosphère pesante est causée par le traitement qui est fait aux
personnages. L’histoire d’Hannah est pour moi remarquablement intéressante
puisque là où l’on pourrait croire qu’elle entretient une simple relation adultère
avec une personne prise au hasard pour combler la tristesse due à la mort de
son mari, cela prend une toute autre dimension lorsque l’on apprend qu’il
s’agit de son amour d’enfance.
Ce qu’elle a fait pour arriver à ses fins devient détestable, et alors
qu’au début on pourrait être tenté de se mettre de son côté, on finit par ne
pas apprécier ce personnage, que ce soit sa face jeune ou plus âgée. Et cette
transition se fait sans heurts, avec une fluidité remarquable, qui est
représentative d’un bon traitement de personnalité au niveau scénaristique.
Le traitement est similaire pour un des personnages principaux,
Ulrich. D’abord on voit en lui l’image du flic un peu ténébreux, qui voue un
véritable amour à sa femme malgré son égarement, qui a le sens de la justice,
etc… Mais la vision 33 ans plus tôt de son personnage nous donne une toute
autre vision de cette personne, un peu rebelle, star du lycée. C’est
intéressant dans la mesure où l’on voit l’impact de 30 années sur l’évolution
du caractère d’une personne, et c’est d’ailleurs mis en valeur lorsque les
enfants commentent qu’ils ne savent pas grands chose de leur parents, ils ne
les connaissent que dans leur version actuelle, et ne savent que peu de choses
de leur jeunesse. C’est un des axes secondaires les plus intéressants de la
série, cette évolution du caractère dans le temps, qui donne lieu à un justifié
questionnement sur l’identité. Change-t-elle au cours du temps où reste-t-elle
toujours la même ? Peut-on dire que l’on connaît une personne sans rien
savoir de son passé ? Ces questions restent évidemment sans réponses
directes mais sont posées pendant la série.
Le personnage d’Ulrich sera finalement vu tout à fait différemment
dans la scène assez dérangeante où il fracasse le crâne d’un enfant à l’aide
d’un rocher. Là encore, une question est posée, assez classique pour une série
sur le voyage dans le temps : peut-on juger une personne pour des crimes
qu’elle n’a pas encore commis ? On a envie de dire non, même si d’un point de
vue purement utilitariste le oui a bien plus d’attraits. Cela nous mène
finalement à ne pas apprécier un des personnages principaux de la série.
Et tous ces développements sont extrêmement riches dans la mesure où
les personnages nous sont montrés sous des jours différents. En dix épisodes,
les impressions que nous nous donnons sur chacun d’entre eux évoluent
volontiers, même dans une moindre mesure pour les plus jeunes alors qu’ils
gagnent en maturité. C’est assez rare de voir que sans se centrer sur ce point
précis (la trame principale reste la faille temporelle et ses conséquences), on
ait un retour aussi bon sur un point qui est souvent négligé.
Reste qu’aucune intrigue secondaires, portées par ces personnages,
n’atteint un happy ending. C’en est presque « trop » porté sur le
côté drame. Le couple d’Ulrich et de Katharina bat de l’aile, Hannah n’y trouve
pas du tout son compte, Martha et Jonas ne peuvent pas être ensemble, Bartosz
purge l’incompréhension qu’il a quant au fait que Martha se soit éloignée en
parlant avec Noah (et donc en devenant probablement Noah dans le futur ?),
Regina Tiedemann a un cancer, le couple des Kahnwald n’avance pas, les enfants
meurent pour une raison mystérieuse (dont on peine à avoir la réponse à la fin
de la saison 1) et pour couronner le tout, cette fin de saison justement
annonce encore plus de questions sans nous apporter un lot convenable de
réponses.
Et c’est un défi qu’elle devra remonter, ouvrir des portes c’est bien,
encore faut-il pouvoir y apporter des réponses satisfaisantes. C’est souvent
l’écueil des séries de science-fiction, citer Lost comme illustration ne paraît
pas totalement hors de propos...
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