Article 35 : La guerre du Viêt-Nam ; le douloureux souvenir des États-Unis
Bien évidemment l’objet de cet article n’est pas de tartiner des lignes et des lignes sur cette page de l’histoire, mais plutôt de montrer comment un tel évènement a su inspirer de nombreux films, dont quatre particuliers sur lesquels je m’attarderai :
Dire Hunter : Réalisé par Michael Cinimo, sorti en mars
1979
Apocalypse now : Réalisé par Francis Ford Coppola, sorti
en septembre 1979
Platoon : Réalisé par Oliver Stone, sorti en mars 1987
Full Metal Jacket : Réalisé par Stanley Kubrick, sorti en
octobre 1987
En regardant les dates je viens de remarquer qu’il y avait donc eu deux vagues, les deux plus romancés alors que la guerre s’était terminé seulement quelques années auparavant, et les deux plus « réalistes » sorti un peu plus d’une dizaine d’années plus tard. Plutôt logique quand on y pense…
Regardez-les ! Ils valent de s’y pencher quelques heures, et ont plutôt bien vieilli. Vous pourrez revenir sur cette page lorsque vous aurez toutes les histoires en tête puisque je vais comme d’habitude exposer les scénarios sans vouloir en cacher leur dénouement. L'article est un peu plus long que les autres vu qu'il y a quatre films et un concept à discuter, mais j'ai vraiment tout fait pour garder quelque chose d'assez court.
La guerre est sans conteste un sujet inspirant. De nombreuses problématiques philosophiques et morales se posent lorsqu’une guerre est menée ; la question de la valeur de la vie humaine, une réflexion sur les raisons qui poussent à une telle sauvagerie, et la façon dont les combats éveillent une face bestiale du comportement de l’homme, pour n’en citer que quelques-unes.
Il est évident que le cinéma est marqué par la culture américaine. Si j’ai pu écrire sur le sujet des films d’animation japonais, l’immense majorité des revues que j’ai pu faire (et des films que j’ai pu voir) concernent des films américains. Ce qui nous amène à l’article d’aujourd’hui ; les films sur la guerre du Viet-Nam, la tache de l’épopée américaine.
En guise de contexte, la guerre du Viêt-Nam, ou plutôt l’entrée des États-Unis au sein du conflit fait suite à la décision de Lyndon Baines Johnson, devenu président suite à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy qui lui souhaitait retirer ses troupes du conflit. Le tout s’inscrit dans le cadre de la guerre froide, où l’on assistait à cet affrontement indirect entre le communisme et le capitalisme.
La guerre est perdue en 1975 et constituera la seule défaite de l’histoire américaine, une défaite qui n’a toujours pas cicatrisé lorsque l’on voit le nombre d’estropiés qui en sont sortis, sans compter les quelques 50 000 morts américains. Évidemment, le bilan est plus lourd du côté du Viêt-Nam, où les civils ont été extrêmement touchés ; on compte un million et demi de morts environ. En tout subjectivité, on pourrait qualifier cette guerre d’énorme gâchis, et d’erreur incommensurable de la part d’un pays comme les États-Unis.
Forcément, cet
épisode historique a su laisser son empreinte, et pour ceux qui ne l’ont pas
vécu, l’émotion se transmet par les moyens culturels. Je parlerai donc
aujourd’hui de quatre films, que je considère tous comme étant excellents, qui
laissent chacun entrevoir une facette de ce conflit.
Ils n’ont cependant
pas tous la même puissance émotionnelle, et la raison n’est pas toujours liée à
la guerre en elle-même. L’exemple le plus parlant étant cette fameuse
scène de la roulette russe dans Dire Hunter, qui si elle marque profondément
voit davantage son impact résider dans cette propension à montrer que la mort
peut survenir à tout moment que dans son contexte. Par ailleurs, ce film
présente la particularité d’introduire les personnages dans leur vie avant la
guerre. Il s’agit du seul donc présentant une trame narrative qui sorte de
l’immiscion directe dans cet évènement historique.
Faire suivre les
personnages dans leur quotidien accentue le contraste amené par leur évolution
au Viêt-Nam. On comprend ainsi ce qu’ils peuvent perdre, mais aussi ce qui a
justifié leur décision ; une vie d’ouvrier difficile, sans réelle attache
si ce n’est relationnelle pour certains. Le film se centre ensuite
davantage sur la violence psychologique du concept de roulette russe que sur la
guerre du Viêt-Nam en elle-même. On peut voir un entraperçu de l’après
toutefois, avec le personnage blessé, et surtout les cicatrices indélébiles
formées par les souvenirs de cette guerre.
Dans un tout autre
registre, Apocalypse now n’utilise la guerre que comme trame de fond pour
servir d’excuse à son scénario. Effectivement, il s’agit de l’adaptation d’un
livre paru en 1899, Au cœur des
ténèbres, et prenant comme cadre l’Afrique noire. Le rapport avec le
conflit qui nous intéresse n’est donc présent que dans les première scènes.
Mais elles ont tout de même sur marquer les mémoires ; le vol des
hélicoptères et le bombardement du village peuplé de civils sous l’air de la
Chevauchée des Walkyries de Wagner ainsi que la réplique « I love the
smell of napalm in the morning » sont incontestablement des moments cultes.
Le reste du film
suit une trame rentrant moins dans le sujet, du moins de façon directe. L’arc
narratif de Kurtz, officier rendu fou par la guerre probablement, qui juge
l’homme venu le tuer comme un « errand boy, sent by grocery clerks to
collect the bills », permet par ailleurs de juger le rôle des États-Unis
dans cette guerre. Tout comme Willard ne sait pas pourquoi il doit tuer Kurtz,
apparemment un homme qui a perdu la raison et s’adonne à des méthodes
discutables, les américains sont envoyés par le gouvernement pour tuer les
vietnamiens sans trop savoir pourquoi, critique de la propagande dont ils ont
été victime, sujet ô combien important qui a permis à la guerre de trop durer.
Finalement, c’est
peut-être ce film qui marque le plus son empreinte pour témoigner de l’atrocité
de la guerre, et du côté impitoyable des hommes la menant. Plus que Dire Hunter
qui selon moi, même si je l’ai préféré, s’appesantit davantage sur d’autres
sujets. Le contexte de la guerre du Viët-Nam pour ces deux films permet tout de
même de magnifier ces deux scénarios, puisque la violence de cette guerre,
ainsi que ses tenants et aboutissants résonnent bien avec les thématiques
principales de Dire Hunter et Apocalypse Now.
Donc les deux films
de 1979 utilisent davantage cet évènement comme catalyseur pour amplifier la
portée de leurs trames respectives. On va maintenant passer à leurs successeurs
de 1987 qui sont bien plus porté sur la guerre en elle-même, et qui nous font
comprendre que cette période justifie à elle seule des longs-métrages
entièrement dédiés.
Commençons par Full
Metal Jacket qui se décline en deux actes distincts ; le premier où l’on
assiste à la dureté de la formation, ce lavage de cerveau en règle menant à une
totale déshumanisation des soldats, qui nous laisse sur l’évolution cruelle
d’une escouade à l’intérieur d’une ville fantôme. Full Metal Jacket, c’est donc
ces merveilleuses balles qui ont le potentiel de venir à bout de n’importe qui.
Le début est clair, aucune réflexion n’est demandée, seule l’obéissance la plus
aveugle et la plus totale est requise. L’entraînement est sévère, aucune
exception n’est faite. L’histoire tournera autour de cet homme en surpoids qui
ne parviendra pas à bout de tout ce qui lui sera demandé, toutefois, après une
séance de bizutage de ses camarades lassés de payer le prix de son
incompétence, il changera totalement d’état d’esprit. Il ira jusqu’à basculer
dans la folie pour que son corps parvienne à surmonter les épreuves du sergent.
Mais surmonter cette folie en guise d’ultime difficulté sera impossible, et après avoir tué son tortionnaire, il trouvera refuge dans le suicide. Le film suit ensuite la vie de celui qui l’a pris sous son aile sans trop sourciller, et qui déjà montrait un peu d’empathie à son égard. Devenu reporter de guerre, ou plutôt soldat chargé de propagande, il est amené à filmer une scène de combat. L’espoir n’est pas réellement de mise, le quotidien rapporté ne laisse pas apparaître de lendemain à l’horizon. Le sujet de la prostitution est abordé, et on passe de scènes de soulagement à une tension palpable. Si les deux anciens camarades d’entrainement étaient heureux de se revoir, ils vont traverser un champ de guerre qui les mènera à leur perte. La portée de cette percée ? On n’est pas vraiment sûr, plusieurs soldats américains tués pour débusquer une sniper vietnamienne, sans que l’intérêt de la manœuvre ne soit clair. La mort les guette à tout moment, en témoigne les décès successifs des chefs d’escouades, jusqu’à ce que les responsabilités soient trop dures à endosser, et les décisions contestées.
Beaucoup trouveront la mort, qui paraît tellement banale dans ce monde éloigné, mais qui existait pourtant il y a à peine cinquante ans. La cruauté américaine est également mise en scène, avec ce personnage principal qui semble avoir un sursaut d’humanité au milieu de toute cette violence, en souhaitant aider cette soldate ennemie. Toute la morale de ce conflit est remise en cause, mais également toute sa finalité, car le personnage ne comprendra pas vraiment ce qu’il fera là. Même le film nous pousse à nous demander qu’est ce qui a bien pu justifier un tel gâchis.
Enfin, Platoon nous
immerge dans un film sans réel background, avec comme personnage principal un
bourgeois qui souhaitait voir de ses propres yeux ce qui se passait de l’autre
côté du monde, pour faire lui aussi partie de ce mouvement national qui ne
semble s’adresser qu’aux classes inférieures. Car oui, la guerre est
inégalitaire dans la mesure où les soldats sont les plus démunis. Dans ce contexte
social, le héros (ou en est-ce vraiment un ?) n’inspire pas la sympathie
de ses camarades, et personne ne lui explique vraiment comment évoluer dans
cette étrange réalité.
Un sergent semble
toutefois le prendre sous son aile, compréhensif vis-à-vis du héros, se
dressant comme rempart face aux autres personnages qui souhaiteraient le
laisser seul. Ce même sergent se pose également en défenseur face à ses
comparses quand ceux-ci cherchent à massacrer l'ennemi. Il ne souhaite pas la
violence gratuite, bien qu’il ne montre toutefois aucune hésitation lorsqu’il
s’agit de tirer sur les soldats ennemis. Cela nous permet encore une fois de
voir comment sont traités les civils vietnamiens, finalement les réelles
victimes de ce conflit puisqu’il n’ont jamais réellement fait le choix d’y
prendre part. La cruauté des soldats est visible, ils épanchent les sentiments
que leur inspire la guerre et la violence sur des personnes sans défense. Le
« bleu » parviendra tout de même à sauver deux jeunes filles du viol,
sursaut d’humanité dans ce brouillard animal.
Est aussi évoquée
la possibilité de conflit entre soldats du même camp. Il semble illégal
justement de laisser passer ses nerfs sur les civils ; du moins quand
quelqu’un vous dénonce, et de ce fait, les deux sergents ne se mettant pas
d’accord sur comment générer la situation se confrontent. Le lieutenant
apparaissant comme un incompétent, que ce soit stratégiquement ou pour gérer ce
genre de querelles internes, les choses sont évidemment destinées à s’empirer.
Confrontation qui arrivera à son terme lorsque l’un d’eux, venu récupérer près
des lignes ennemies son collègue, l’abattra de sang-froid. La guerre justifie
les bavures, ou du moins, les camoufle. L’accès aux armes, la vue du sang et
l’exposition quotidienne à la mort fait perdre de la valeur à cette dernière.
Ainsi, se faire justice par le meurtre, où se rendre hors-la-loi en le
perpétrant devient bénin dans un tel cadre.
Les deux camps
formés par la scission de l’escouade séparait les rêveurs des réalistes. D’un côté
Barnes qui croit à la guerre là où Elias semble plutôt résigné sur son sort,
sans pour autant perdre une once d’efficacité. Là où les soldats de Barnes
n’ont pas de respect pour la vie humaine, rendus bestiaux par ces effusions de
sang, ceux d’Elias trouveront refuge dans la drogue, tentant d’oublier du mieux
qu’ils peuvent les horreurs auxquelles ils sont confrontés pour trouver la
force de se lever le lendemain. Deux approches, l’une peut sembler plus lâche
que l’autre mais aussi plus humaine, si tant est que ce mot ait un sens dans un
tel contexte.
Car ce qui ressort
de tout cela c’est bien les extrémités dans lesquelles notre espèce peut se verser.
Ce dont nous sommes capables pour peu de subir un peu de propagande, comme on
le voit dans Full Metal Jacket. Lorsque l’on enlève à l’homme cette faculté de
se poser des questions, peut-on encore le qualifier d’humain ?
C’est la question
qui se pose en tout cas, et que ces films cherchent à nous suggérer. Ils prennent
tous cette même approche de la critique de cet évènement, pas étonnant lorsque
l’on voit les avis émis dessus a posteriori.
Ils sont aussi là
pour nous asséner le devoir de mémoire. L’histoire est ponctuée d’erreurs, et
ces erreurs n’ont une valeur que si on les assume, et qu’on s’en rappelle. On
ne les évitera qu’en gardant en tête les horreurs qu’elles ont su déclencher. Evidemment,
plus les évènements sont anciens, moins on retient les détails, faisant pencher
parfois les choses pour plus positives ou négatives qu’elles l’ont réellement
été. L’exemple le plus parlant pour nous serait celui de la Révolution
française, un combat certes nécessaire pour la liberté, mais dont on oublie
souvent la période noire qui s’en est suivie.
L’avantage de ce
genre de films c’est que par l’excuse d’une histoire, ils déclenchent ces réminiscences
plus aisément. Et particulièrement en regardant les deux films de 1987, cela m’a
permis une fois de plus de me rendre compte à quel point la réalité pourrait
dévier, à quel point rien que quelque chose d’aussi banal que la paix n’est pas
à dévaloriser. L’homme se complaît dans l’exigence, n’aime pas s’arrêter à ce
qu’il a mais cherche sans arrêt à améliorer les choses. C’est autant une
qualité qu’un défaut, car parfois, il serait bon de se rappeler que tout n’est
pas négatif. Ce devoir de mémoire, connaître ce qu’on a évité (une situation où
vous vous levez chaque matin sans savoir si vous allez dormir le soir venu, où
vous comptez les jours avant de vous extrader de l’enfer de la guerre) nous
permet d’être reconnaissant de ce qu’on a aujourd’hui. Par la prise de recul
ainsi conférée, on relativise notre propre situation, sans pour autant perdre
de vue nos priorités.
En tout cas, ces
quatre films se valent l’un l’autre, et il serait difficile de faire un classement
puisque chacun cherche à montrer une facette que les autres traitent moins en
profondeur. Apocalypse now pousse la réflexion sur la nécessité de la guerre,
Dire Hunter évoque le syndrome post-traumatique d’un tel évènement, là où Full
Metal Jacket dépeint l’impact du lavage de cerveau, et où Platoon va conclure
sur le côté psychologique et moral de la guerre. Un bon package donc pour se
mettre à niveau sur cet évènement en particulier. Cela laisse le côté
vertigineux du nombre de film à voir pour se faire un bon aperçu de toute l’histoire
et de tous ses rebondissements ! N’oublions pas qu’il y a à peine 2000 ans
c’était la « réalité » dépeinte par les péplums dans laquelle évoluait
l’humanité. Ce qu'on a aujourd'hui reste le résultat d'énormément d'embûches qu'on ne pourrait pas traverser avec notre subjectivité actuelle.
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