Article 28 : Le fabuleux destin d'Amélie Poulain
Film : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain
Réalisateur : Jean-Pierre Jeunet
Genre : Difficile à classer, à cheval entre le drame et la comédie
Il est toujours
amusant de constater que le cinéma français, s’il nous livre en général des
œuvres quelconques basées le plus souvent sur un humour douteux, est d’un autre
côté capable de nous offrir des perles d’émotions aussi parlantes que
poétiques. Le nombre de films français sur lesquels j’ai écrit actuellement est
ridicule, puisque seul Je vais bien ne
t’en fais pas avait jusqu’alors suffisamment capté mon attention.
Mais là où réside
la différence, c’est que Le fabuleux
destin d’Amélie Poulain n’est pas vraiment un drame, mais plutôt ce genre
de film qui vous laisse avec un sourire béat à la fin du visionnage, et marque
votre esprit d’un sincère élan de positivisme. Depuis longtemps, les drames
sont mon genre préféré de films, puisqu’ils suscitent bien plus de pistes de
réflexions que leurs homologues d’autres genres. Mais il faut avouer que ce
sentiment innocent et presque naïf de joie issu du visionnage du film dont je
vais vous parler aujourd’hui le rend autant, si ce n’est plus attractif.
Venons-en au vif
du sujet, et parlons de l’atout majeur de ce film. Tout est fait pour que l’on
croit à une douce rêverie, les choses ne font pas toutes sens, mais ça nous est
égal. Dès les premières minutes, la narration empreinte d’humour et de poésie
nous amène dans ce monde fictif et néanmoins proche de notre réalité. Le
réalisme est bousculé, comme avec la mort ridicule de la mère d’Amélie, ou bien
avec l’introduction de cet homme de verre qui jouera un rôle important dans la
suite du scénario. On découvre en même temps le personnage d’Amélie, et son
imaginaire débordant lui apportant une créativité surprenante en toute
situation.
Cet aspect de
rêverie revient avec la présence des trois formes majeures d’arts magnifiées
dans un tout qu’est le film lui-même. La peinture avec l’homme de verre,
l’écriture avec l’écrivain raté et la narration construite en rimes, et enfin
la musique sublime de Yann Tiersen, portée par le piano et l’accordéon. C’est
une fresque qu’on nous dépeint ici, dont l’imaginaire en est la peinture. Tout
nous transporte vers un autre monde, le temps de deux heures à peine, un monde
à l’origine terne mais éclairé par le passage d’Amélie.
De la pauvre
femme trompée par son mari décédé, à l’employé d’un méprisant commerçant, en
passant par son père, son altruisme séduit, et surtout enchante, nous qui
vivons dans un monde où les personnes ne sombrant pas dans un égoïsme plus ou
moins prononcé sont rares. Mais il cache un mal être enfoui, causé par son
manque de contact social extérieur à sa famille pendant son enfance. Ce mal
être a un nom, l’introversion.
En effet, Amélie n’est pas portée sur le social, si
elle aide les gens, elle le fait de manière détournée, toujours sans se faire
remarquer. Et c’est ce qui fait tout son charme : il n’y a pas ici de
recherche d’une quelconque forme de reconnaissance, elle apprécie simplement le
fait de voir les autres personnes heureuses, grâce à de petites choses certes,
mais qui comptent. Et il est vrai que voir cela, des personnes transies de joie
grâce à des coups du destin difficilement explicables, c’est agréable. Ce qui
compte n’est pas la manière dont c’est fait, puisque seule Amélie est au
courant de cela, mais bien le résultat final. Même la véracité de la chose
n’importe que peu, comme on le voit avec la femme qui gardait ses lettres qui
en reçoit une inventée de toutes pièces, mais qu’elle prend comme étant réelle.
Mais aider les autres pousse Amélie à ne pas penser
suffisamment à elle, car si elle arrive à se réaliser en voyant son prochain
sourire, le besoin de réalité finit par la rattraper. L’imagination ne suffit
plus. En croisant un homme pas vraiment séduisant de par ses pratiques (racler
les dessous des photomatons, on a vu plus romantique comme première rencontre),
elle se posera cette question de savoir si elle aussi peut avoir accès au
bonheur de l’amour. Car si elle arrive à jouer les entremetteuses pour les
relations des autres, il devient plus complexe de s’occuper de son propre cas.
C’est amusant de voir qu’une petite mise en abyme
est réalisée pendant le film, avec par deux fois Amélie regardant la télévision
qui raconte sa propre histoire, et les différentes possibilités offertes, et
aussi lorsqu’elle discute avec l’homme de verre. Ce dernier joue le rôle d’une
conscience pour Amélie, lui pousse à prendre des risques, à ne pas se reposer
éternellement sur sa zone de confort. Et on pourrait voir cela comme un reflet
de notre propre vie, puisque nous aussi nous regardons un film, qui est donc
une fiction, et qui dans un certain sens nous dit de revenir à la réalité.
Si ce film est aussi en partie basé sur cette
histoire d’amour entre Amélie et Nino, je trouve que ce n’est clairement pas
son intérêt principal. Pour être plus précis, il se sert plutôt de la période
de séduction, donc l’avant, et non pas le pendant. Le film s’arrête d’ailleurs
lorsque la relation est définitivement tissée entre les deux personnages, car l’intérêt
résidait dans cette sorte de « chasse au trésor » imposée par Amélie
pour trouver l’amour de Nino. Puisque si l’amour est dans ce film rapporté comme
le but de toute vie, il apparaît sous la forme quelque chose dont l’intensité
se trouve dans l’attente et l’imagination, et ce avant que le couple n’existe
vraiment.
Bref, l’avant importe. Toute cette phase qu’à
Amélie avant la fin du film (qui ne nous révèle pas si le couple va être
solide, puisque précisons le, les deux personnages ne se connaissent pas du
tout) permet de la rendre heureuse. Bon, le film narre aussi l’existence du
coup de foudre, un peu tiré par les cheveux certes, mais qui permet de
construire un scénario assez amusant. N’oublions pas que le film vire très
régulièrement au comique, il n’y a qu’à voir certains acteurs pour s’en rendre
compte.
Pour parler brièvement de ces touches d’humour, il
faut avouer qu’elles font mouche, même si n’apparaissant pas vraiment
naturelles, elles vont de pair avec l’état d’esprit du personnage principal. On
ne tombe jamais dans une lourdeur exacerbée ou des remarques un peu déplacées,
et il faut dire que c’est appréciable. Le tout aide à installer une atmosphère
légère, et permet de relancer le tout pour ne pas sombrer dans un banal film à l’eau
de rose. Si beaucoup d’anecdotes et de scènes n’aident pas vraiment à l’intrigue
principale (qui pour sûr n’est pas exceptionnelle si l’on parle du scénario),
elles permettent d’apporter un peu de fraîcheur à cette dernière.
Finalement, ce film reste un film d’atmosphère, une
rêverie comme dit au début, où ce qui compte n’est pas forcément le résultat,
mais plutôt la manière d’amener les choses, qui est d’autant plus amusante
lorsqu’elle est originale. Le réalisateur est probablement un artiste un peu
rêveur, et se retrouve sûrement dans les personnages d’artistes qu’il a créé (l’homme
de verre et l’écrivain raté).
Je salut pour finir le travail énorme fait au
niveau de la BO, qui malheureusement a été torturée par trop de gens, de par sa facilité à être apprise techniquement au piano . Elle contient une réelle émotion qui
nécessite cette fois une certaine maîtrise pour être retranscrite
instrumentalement. Dans tous les cas, elle est devenue sans conteste mythique
dans le domaine des musiques de films, et ça mérite d’être remarqué.
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