Article 32 : La plateforme


Film : La plateforme


Réalisateur et co-scénariste : Baran bo Odar

Genre : Science-fiction


En cette période un peu spéciale, près de deux ans après la publication de mon dernier article ici, je profite de l’existence de ce blog pour le réutiliser afin de discuter d’un film que j’ai vu lundi dernier. Autant vous prévenir, cette analyse est un peu à l’image du film ; noire et pessimiste ! Bien évidemment, spoilers ahead, mais si vous n'avez pas encore vu La Plateforme, que l'heure du repas est encore lointaine et que vous avez l'estomac accroché, dédiez-y une petite quatre-vingt quatorzaine de minutes !

Nul doute que ce temps de confinement est l’occasion, pour tous ceux ayant la chance d'échapper à la maladie, de réaliser ce qu’on a moins eu le temps de faire jusqu'à présent, et de s’abreuver de toute la culture qui nous est à portée.
Je checkais Netflix dans la soirée, et j’y ai vu une recommandation pour ce film. Devinant un genre à la Cercle, soit un thriller psychologique en huis clos pas forcément transcendant mais plutôt divertissant, après un habituel tour sur allociné pour voir s’il valait le détour, je m’installe tranquillement dans mon lit pour le découvrir.

Ce style cinématographique est toujours intéressant. Quoique souvent trop limité à sa situation initiale (et on ne va pas se mentir, c’est le cas ici), c’est par la volonté de mettre en situation l’homme directement confronté à ses congénères pour des besoins vitaux qu’on révèle l’animal en lui. Des millénaires pourraient passer, l’humanité pourrait évoluer encore aussi longtemps qu’on le voudra, la frontière qui nous sépare de l’abandon à nos pulsions sera toujours aussi mince. Par ailleurs, l'équilibre d'une société sera toujours précaire. 
Il y a plusieurs sujets qu’on pourrait mettre sur la table pour ce qui est de ce film. Bien évidemment, on peut voir une métaphore de la société qui se hiérarchise avec ce repas qui descend, et qui donc favorise les étages supérieurs aux dépens de ceux inférieurs. Soit, jusqu’ici pas grand-chose à se mettre sous la dent.
Parallèle tout de même assez ironique avec notre réalité, qui peut-être justifie le fait que le film soit actuellement parmi les premières tendances Netflix, cette accentuation de l’égoïsme latent qui sommeille en chacun d’entre nous. Cette volonté de prendre trop, sans penser à ce que l’autre récupèrera par la suite. Plus encore, sans même songer au fait qu’un mois plus tard on pourrait se retrouver dans la situation inférieure. C’est l’ironie de ce pragmatisme porté par le premier compagnon de cellule du personnage principal, qui méprise ceux d’en bas et ne serait pas surpris de recevoir ce même traitement de ceux d’en haut, sans remettre en question sa propre participation à ce cercle vicieux. Les choses sont comme elles sont, et sa survie importe plus que la morale. Qui pourrait l’en blâmer ?

Je pense qu’avec les informations actuelles, il ne fait nul doute que si on nous annonçait une pénurie dans les supermarchés, certains feraient des réserves dantesques, et laisseraient mourir pour chaque individu agissant ainsi une dizaine de personnes qui n’auront pas eu l’occasion de récupérer quoi que ce soit. Certains auraient trop, d’autres pas assez. Il n’y a qu’à voir certains rayons pris d’assaut quelques temps après que le COVID-19 ait été annoncé en France pour comprendre que la fiction n’est jamais trop éloignée de la réalité.
Premier arrivé, premier servi.

J’aime beaucoup ce genre de film, mais il faut avouer qu’ils sont souvent un peu trop dans l’exagération. Ils montrent généralement une face très noire de l’humain, comme si le bon était totalement effacé une fois mis dans une situation stressante. Mais finalement, la pertinence des propos, même si pas toujours avérée, n’est jamais trop lointaine. Il faut bien se rappeler que l’on est dans un film avec très peu de contexte, à la Cube, où la fin ne dévoile quasiment rien pour ne pas affaiblir un scénario qui se serait voulu trop fébrile sinon.
Ce qui importe réellement, c’est la situation, pas le contexte. C’est une sorte de facilité scénaristique qui permet de ne pas remettre en cause les comportements de plusieurs personnes (notamment parce que souvent, les personnes à l’étage en dessus / en dessous de Goreng répondent au cliché du prisonnier affamé). Les personnalités intéressantes sont toujours celles de l’étage de Goreng, entre un survivaliste pragmatique, une idéaliste désabusée et un illuminé, tous finissant plus ou moins dévorés. Manger ou être mangé, telle est la sinistre réalité à laquelle sont confrontées les membres de cette mystérieuse fosse. Mais garder la majeure partie de l’action autour du seul personnage principal permet de ne pas avoir à répondre à d’autres questions que l’on pourrait se poser.
Il y en a des incohérences, sont-elles importantes ? Pas vraiment. Les choix de chaque personnage qui les ont amenés à subir cet enfermement ne sont pas toujours très compréhensibles. La finalité de ce qui se passe n’est jamais clairement exposée. Une expérience sociale ? Alors pourquoi faire des plats sur mesure ? Mais, et c’est bien là tout l’intérêt ici, il ne faut pas chercher des raisons. Il ne faut pas rationnaliser, simplement accepter ce qui se passe et vivre le film.
C’est à l’image de la vie, y trouver un sens n’a rien d’évident, et vouloir le chercher est autant illusoire que vain. Ce qui importe, c’est justement de vivre. Autre facette plutôt cruciale dans ce long-métrage, cette présence du hasard, qui répartit chaque mois les détenus (ou volontaires, selon le point de vue) parmi les étages de la fosse. Hasard qui est impossible à combattre, et qui pourtant déterminerait la place au sein de la société, un côté un peu glaçant mais qui a un fond de véracité.
Le tout est très métaphorique quoiqu’il en soit, et ceux pour un qui un cadre défini tient à cœur, au-delà de cette hiérarchisation, les cuisiniers pourraient être vus comme la nature qui nous donne encore et encore des ressources, que l’on s’est plus ou moins donné le droit d’utiliser via le truchement de l’argent. Mais c’est un peu bancal comme explication, et ça ne rend pas justice à la volonté qui a été à l’origine de cette histoire.

Une autre idée importante du film se joue quand à cette évocation de l’administration. Comme si les personnages cherchaient une incarnation à combattre. Une image qui donne l’envie de se battre encore et encore, pour sentir son impact dans le système. Outre les rapprochements évidents avec l’histoire de Don Quichotte, cette panna cotta laissée intacte est considérée comme le message. Si 333 étages de fous à lier affamés ne s’y intéressent pas, alors la préparation doit être mauvaise.
Le but serait alors d’influer sur ce système. On voit dans une scène du milieu du film que cette panna cotta a bien été remarquée ; pourquoi placer cette scène ici ? Les théories vont bon train, puisque si d’un côté on pourrait penser que la fin résulte d’un délire imaginé par Goreng, sans que ça se produise vraiment, la fin apparaît comme bien réelle, et justifie le comportement de cette psychopathe cannibale ;  ramener un cadavre à sa fille, cachée à cet étage 333. Par ailleurs, lorsqu’elle s’occupe de Goreng après le décès de son premier camarade de cellule, il semble qu’elle soit habituée à partager la nourriture d’un corps avec quelqu’un d’autre. Tout pousse en tout cas à croire que ce qui se passe est réel. Reste à comprendre pourquoi il y aurait cette quête secondaire ? La fille est-elle toujours à l’étage 333 ? La mère vient-elle chaque fois tuer le co-détenu ? C’est assez complexe, voire impossible de comprendre qu’est-ce que cette sous-intrigue vient faire là, en mettant bien sûr de côté le fait qu’elle rythme le film. Tout comme cette réaction à la panna cotta imparfaite est difficile à rationaliser et à inscrire dans le scénario. 
Une scène assez intéressante si on se penche sur le sous-texte, c’est lorsque Baharat tente de grimper l’échelle sociale. Si je trouve que le racisme est traité un peu légèrement dans le film verse dans le cliché – qui malheureusement reflète une part de la réalité –, le personnage se fait littéralement chier à la gueule (car les gens d’en-haut vous chient dessus, au sens figuré, dans la réalité) et retombe à sa place. Une personne d’origine étrangère tente de gravir un échelon, sa naïveté est abusée, on lui fait miroiter une ascension pour finalement lui révéler le mépris et le faire rester à sa place.
On ne se défait pas du système aussi facilement, puisqu’il est nourri par les personnes le constituant.

Le film s’axe évidemment avec ce thème extrêmement récurrent, pour ne pas dire complètement inhérent qui fait l’apanage de la science-fiction : dénoncer le système. Mais, comme on l’a vu, le système est lui-même empiré par chaque personnes la composant. Personne ne fait l’effort d’améliorer les choses, puisque la faute est rejeté non pas sur lui-même mais sur le système, qui il faut le dire, l’a placé dans un jeu aussi pervers que mortel. Est-ce réellement la faute du système, ou des personnes qui le compose ? D'un autre côté, c’est le système qui a voulu cette situation, et qui devrait donc en assumer l’entièreté des conséquences. On a donc bien là une remise en question de ce dernier, qui finalement pousserait à la faute. Quant à le combattre ou non, on rentre là dans des opinions politiques qui par définition seront propres à chacun. 

Enfin, le thème principal reste celui de la faim, de l’animalité. Et c’est peut-être l’aspect qui est le plus intéressant. Comment l’homme réagit-il lorsque son estomac est vide ? Comment réagit-il à ses pulsions sexuelles (en témoigne les tentatives de viol sur la mère), comment s’adonne-t-il à la violence ? Est-il capable de surmonter ces pulsions pour améliorer le monde dans lequel il vit, tentative difficilement envisagée par cette suppôt de l’administration (qui, cliché oblige une fois de plus, ne savait rien de ce pourquoi elle travaillait) ?
D’un côté donc, les personnes constituant cette fosse se montrent égoïstes, cruelles, sans foi ni morale, et ne résistent à aucune de ces pulsions. Mais la situation dans laquelle elles ont été plongées ne dépendait pas d’elles. La nécessité de se nourrir ne peut pas être combattue, puisqu’elle est propre à l’homme. Mais justifie-t-elle l’absence de morale ? Toutes ces questions voient une réponse être apportée dans le film. Sont-elles réalistes ? Ce n’est pas certain. Comme je l’ai dit en entamant cette petite analyse, ce genre de scénario pour entretenir un intérêt tombe souvent dans l’écueil de noircir les personnages à ne plus en voir la lumière.

Si d’autres points pourraient être développés (aspect religieux, en remettre des tartines sur la fin et la panna cotta, etc.) je ne surcharge pas tout ça, l’objectif n’est pas d’être exhaustif mais plutôt de voir comment ces films peuvent refléter la réalité et nous faire réfléchir sur certains points. J’espère avoir apporté quelques éclaircissements, et vous avoir fait remarqué des choses moins visibles du premier coup d’œil.
Finalement, ce genre de film correspond bien au livre que j'ai écrit, puisqu’il est aussi question d’expérience sociale – quoique dans un style plus science-fiction – et avec des choix semblables, notamment cette vision très sombre de l’homme qui ne colle pas forcément à la réalité. Si vous avez un peu de temps, n’hésitez pas à faire un tour sur les sites de librairies en ligne (il est sur Amazon et la Fnac notamment), le titre est Cobayes. Sans être très littéraire, il en vaut le détour !

Sur ce bonne continuation de confinement à tous, peut-être y aura-t-il d’autres articles, qui sait, peut-être dans un, deux ou cinq ans mais ça m’amuse de parfois revenir à ce blog pour parler un peu des films qui laissent des traces. On n’est pas dans du grand cinéma mais ça a eu le mérite de m’inspirer. Merci d'avoir lu et à la prochaine !

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