Article 34 : Le vent se lève

Film : Le vent se lève


Réalisateur : Miyazaki

Genre : Film d'animation, biopic

Année de sortie : 2013



              Ah, Miyazaki.
              Ou plutôt dois-je dire : ah, le cinéma d’animation japonais.

            J’avais déjà rédigé un article il y a quelques années sur plusieurs films du même réalisateur. Tous auraient mérité un article à part entière mais j’avais préféré faire un tour d’horizon en revenant sur certaines thématiques clés. De la même manière, je pourrais écrire des tartines sur d’autres films du même genre, au hasard je pourrais citer comme long-métrages assez récents : Le garçon et la bête, Le conte de la princesse Kaguya, Your name, ou même certains classiques des classiques que j’aimerais bien faire à terme, Akira et Le Tombeau des Lucioles (sortis tous deux en 1988). Si jamais vous vous ennuyez durant le confinement, n’hésitez pas. Ils valent tous le détour.
              Mais revenons-en à notre sujet de ce jour.

        Pourquoi dédier à ce film un article ? Parce qu’il contraste énormément avec les autres réalisations de Miyazaki. Parce qu’on passe d’un style que je qualifierai… que je qualifierai de quoi au juste ? C’est une sorte de science-fiction dénué de son sens futuriste, ou alors s’agit-il de fables fantastiques... Le fait est que de Le vent se lève s’inscrirait davantage dans le genre à la biographie ou biopic, un genre historique romancé comme on peut l’avoir en Amérique avec ces adaptations sur grand écran des vies de personnages connus tels que John Nash (un homme d’exception) ou encore Alan Turing (Imitation Game).
           L’intérêt réside donc également dans l’immersion qu’on peut avoir dans cette culture asiatique, qui est plus marquée que pour ses autres long-métrages. Là où la rêverie est l’apanage du maître Hayao, à laquelle on a associé le genre du film d’animation japonais, il s’agit plus ici d’une exposition de la culture en tant que telle. L’histoire se situe avant les évènements de la première guerre mondiale, elle met en scène le concepteur des Zero, soient les avions de chasses qui seront par la suite utilisés pour l’attaque de Pearl Harbor. Les retombées ? Je pense que l’ampleur de celles-ci peuvent être contées par l’émotion contenue dans un film bien plus ancien des studios Ghibli, le Tombeau des Lucioles.

            C’est un des sujets du film que de se demander – ou alors de ne préférer pas le faire ? – quelle est la portée de l’avancée en aéronautique. Le rêve que traverse Jiro au début du film pose les bases ; les avions conçus seront utilisés pour la guerre, mais sont conçus par passion. Et par la suite, on ne peut pas s’opposer à cette recherche inlassable de l’optimisation à laquelle s’adonne le héros, puisqu’on voit bien que cela l’aide à s’accomplir, qu’il s’épanouit en voyant ses créations défier les vents et redorer l’emblème du Japon.
            Et pourtant lorsqu’il nous est montré le prix de cette quête, il est difficile de ne rien remettre en question à son sujet. Le film le dit même sans sous-texte, que l’argent investi dans ces avions pourrait permettre de nourrir beaucoup de japonais, mais le gouvernement préfère investir au maximum dans la guerre, au détriment de sa population.
             Le Japon n’était pas pris au sérieux à cette époque, et nul doute que l’attaque de Pearl Harbor restera gravé dans les mémoire. Mais le personnage de l’ami de Jiro nous rappelle à l’ordre de temps en temps, on comprend ce qu’il se passe, on comprend que les rêves d’un jeune ingénieur provoqueront de nombreuses morts.

              S’il s’agit d’une part importante du film, l’autre est portée par le personnage de Naoko et par l’intrigue qu’elle introduit. Il pourrait s’agir d’un sujet assez bénin se résumant à la critique de la priorité donnée par le gouvernement à la guerre, certes transcendé par le lyrisme de Miyazaki, mais je pense que le véritable but s’articule autour de cette passion liant les deux personnages.
              Le mécanisme scénaristique est destiné à engendrer l’émotion : une amorce au début du film, qui se résout par un hasard plus tard alors que les deux personnages ont chacun évolué de leur côté, mais qui pourtant se reconnaissent et succombent instantanément à la passion. L’amorce est d’ailleurs à l’origine du titre du film, « Le vent se lève », ce à quoi Jiro répondra naturellement « Il faut tenter de vivre », premier signe de leur complicité évidente. Quelque chose d’assez simple, mais qui fonctionne extrêmement bien et qui surtout met Jiro face à un choix, qui est celui à faire entre l’amour et le travail.
            Dans ce sens, le drame est qu’en se versant dans l’un, il perdra le fruit des deux. La plupart des long-métrages de Miyazaki ont une fin positive, et souvent nous laissent songeurs. La résolution de cette intrigue ici nous mène davantage à un final extrêmement mélancolique, avec un héros laissé orphelin de ses passions.

           Les avions ne reviennent pas, et Nahoko décède de la tuberculose. Le temps perdu, investi dans le matériel et non pas dans le relationnel ne peut plus être récupéré. L’image du Japon renvoyée est également celle où le travail occupe une place extrêmement importante, si ce n’est principale, dans le développement d’un individu. L’approche donnée au labeur n’est pas la même qu’en Europe, et vu d’un œil extérieur, si ce n’est étranger, on ne peut qu’être interpellé par cet homme, éperdument amoureux de sa femme, et qui pourtant poursuivra ses travaux avec une rigueur qui en ferait pâlir plus d’un.
        Dans un certain sens, même en réalisant un film biographique, Miyazaki dépeint des personnages qui incarnent à eux-mêmes des valeurs. Jiro est à l’image de la droiture et de l’honneur ; il tient à aller au bout de ses travaux quand il s’y est engagé, et il aide quiconque en éprouve le besoin. Parmi les scènes d’introduction, la bagarre avec les brutes alors qu’il est jeune pose d’ailleurs les bases de ce trait de personnalité qui restera tout au long du film.
            Nahoko est davantage tournée vers la joie de vivre, elle-même artiste incarne la beauté à laquelle Jiro n’est pas insensible. Elle ne proteste jamais, et accepte que son mari continue à travailler à des heures tardives le soir, et qu’il soit peut présent malgré que tous deux savent qu’elle n’en a plus pour longtemps. Là encore, on pourrait trouver des choses à y redire, car la pureté de l’amour ne justifie pas tout, et c’est en cela que le personnage de la sœur de Jiro apporte sa pierre à l’édifice.
              La condition féminine réside dans ce personnage, elle suit des études de médecine malgré l’époque qui veut que les jeunes femmes ne se destinent pas à de longues études. Elle rappelle Jiro à l’ordre en lui disant qu’il ne prend pas suffisamment soin de sa femme, qu’il n’est pas assez présent. Ce personnage est nécessaire pour ne pas tomber dans un écueil sexiste qui se serait posé sinon. Malgré tout, on parvient à comprendre son frère, car celui-ci est tiraillé entre deux passions, et le film n’arrive pas à conclure si celle de l’accomplissement prévaut sur celle plus animale de l’amour ?

           En effet, si l’émotion apportée par la relation entre les deux personnages n’est pas négligeable, Miyazaki construit son personnage principal avec les rêves qu’il expérimente. Et tous ces rêves n’ont comme sujet que l’aviation. Pourtant, alors que la mort de Nahoko n’est jamais montrée, c’est dans un de ces songes qu’elle nous l’est confirmée. Dans celui qui clôt le film par ailleurs, où même dans la mort Nahoko approuve les choix de Jiro l’enjoignant à continuer à vivre sa vie, celui-ci ne pouvant que la remercier malgré la tristesse véhiculée par le souvenir.
           Car ces choix n’ont eu pour motivation que la passion. Le vent se lève, il faut tenter de vivre.
             
          Bref, en résumé, le film nous apporte des réflexions sur la place de la guerre dans le monde, sur l’intérêt de cette dernière, sur l’accomplissement personnel, sur la place de l’amour dans tout ça, sur la condition de la femme, sur le traitement des maladies, sur la place du travail dans la société, et l’ensemble amené par un pitch envoûtant et des dessins d’une qualité exemplaire. Un de mes Miyazaki préférés, tout simplement. Même le titre est sujet à plusieurs interprétations, au-delà de cette citation de Paul Valéry, cela s’applique bien au vent de l’innovation accompagnant cette course à l’aviation à laquelle on assiste, mais aussi au vent de la maladie s’abattant sur Nahoko.
  
        Cette poésie omniprésente qu’on a dans une bonne partie du cinéma japonais (du moins celui auquel on a accès en Europe), est quelque chose d’extrêmement rafraîchissant. Et les mondes qui sont présentés donnent toujours envie de s’y plonger dedans. Culturellement, cette particularité nippone est vraiment intéressante à constater, et même à envier.
       Les films d’animations destinés à un public plus mature ne sont pas légions en occident, peut-être sommes-nous trop occupés à vouloir jouer aux adultes alors que nous ne quittons jamais nos âmes aussi curieuses et rêveuses que celles d’un enfant !


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