Hors-série 4 : Doki Doki Litterature Club


           À partir de cette ligne, le contenu du jeu est spoilé, donc si jamais vous désirez y jouer sans infos préalable (et ça vaut le coup d'y jouer sans rien savoir), n’hésitez pas. Il est gratuit sur steam. Typiquement je ne suis moi-même pas vraiment attiré par le genre "animé" ou même à ce style de jeu mais il y a plus, vous verrez.


Jeu : Doki Doki Litterature club
Concepteur : Dan Salvato
Genre : Visual Novel Horrifique / Pseudo dating simulator
Appréciation : Intriguant, mais définitivement je ne suis pas le public à ce genre de jeu (cette fois en faisant référence au côté horrifique !)

J’avais envie de parler de quelque chose d’un peu plus personnel pour cet article, d’une frustration que j’ai et qui m’handicape parfois dans mon exploration de la culture disponible dans le monde. C’est cette difficulté voire incapacité à aimer le genre horrifique. Même plus, à l’expérimenter jusqu’au bout. Du coup je prends une excuse, Doki Doki, pour en parler un peu plus, notamment parce que c’est un sujet qui me passionne. Après tout, comment les gens peuvent avoir des rapports aussi différents à l’horreur ? 
J’ai donc commencé Doki Doki Litterature Club durant le confinement. J’en ai entendu parler comme d’un jeu narratif qui apparemment vaudrait le détour, qui serait « surprenant ». J’aime les scénarios un peu osé dans les jeux, et souvent ceux que je trouve les plus mémorables ont cette chance d’avoir un scénar justement assez attractif. J’ai déjà écrit sur Undertale sur ce blog, qui pour moi incarne bien l’idéal qu’un jeu puisse être à mes yeux : attractif, fun, qui reste en tête après avoir été terminé, et s’il y a un minimum de difficulté je ne dis pas non.
Et puis il y a Doki doki, Littérature club. Honnêtement, si vous n’aimez pas les films d’horreurs, dites-vous bien que jouer à ce jeu ressemble à du pur masochisme. Le disclaimer en début de jeu est honnête, vraiment. 

On ne s'en rend pas forcément compte au début, mais oui.

            Ai-je été spoilé ? Pas vraiment, je savais que quelque chose allait clocher, pas forcément dans le gore, mais au moins dans le psychologique. Les gens le conseillant disaient bien qu’il y avait un « truc », et même le jeu nous prévient avant le début de la partie. Mais je n’étais pas sûr de quoi. On commence à avoir des doutes avec la déprime de Sayori, changement brusque de personnalité ne trouvant aucune justification, et on les confirme avec ce poème. « Get out of my head. » Le tournant du scénario, référencé à Shining sûrement (« All work and no play makes Jack a dull boy » répété à outrance), et où on comprend que quelque chose cloche. Le suicide ? On s’en doute. Il arrive en simili jump-scare (très soft cependant n’exagérons rien), qui a un impact psychologique. Comparable à un teen-drama, mais on sait que ce n’est pas terminé. Ce serait trop simple.


Et là, c'est le drame.

            À ce moment-là, je fais une pause. Mais je sais que tout va aller en s’empirant. En réfléchissant deux secondes, je comprends que le « Get Out of my head » n’est pas lié à notre décision vis-à-vis de Sayori et si j’avais pu croire qu’il s’adressait au personnage que l’on incarne au début, j’ai vite compris que j’ai fait fausse piste. Quel personnage a brisé le 4ème mur ? Monika. Elle savait tout sur les dires de Sayori, et s’est montrée indifférente à l’affreux poème de cette dernière. Surtout elle fait une blague hors contexte que seul je joueur peut comprendre, qu’on prend à l’origine pour une classique blague du créateur au joueur, mais qui en fait vient d’elle. De là, je déduis qu’en relançant la partie on va juste avoir une série de morts des autres filles jusqu’à ce que seule Monika reste car c’est ce qu’elle voulait. Pour le reste, je devinais que le jeu se terminait sans réel espoir, et qu’il s’effaçait sous la commande de Monika pour une quelconque raison.


Déjà, à partir de son premier poème, on peut deviner ce qui va se passer.

            Bref, on peut déjà avoir un bon aperçu de ce qui va se passer si on prend un peu de temps pour y réfléchir, en mettant de côté les rebondissements quant à la suppression de Monika et au revirement lié au retour de Sayori. Et là me restait un choix, est-ce que j’ai envie de me faire du mal ou pas ? Est-ce que je souhaite poursuivre une atmosphère glauque, certes habile d’un point de vue artistique, mais déjà vu en plus agréable avec Undertale (et probablement en mieux écrit) ? Après avoir poursuivi 5 minutes dans une sérénité plus que discutable pour absolument rien (quelques grésillements tout au plus), mais pris d’un malaise constant, j’ai décidé que la réponse était non, même si finalement je me suis forcé pour pouvoir écrire cet article. A préciser que je me suis spoilé pour pouvoir continuer plus ou moins sereinement. Je me suis causé moins de mal que Yuri ne s’en est fait à elle-même en poursuivant le jeu, mais quand même… Le tout se passe donc comme prévu, dérangeant au possible, et avec quelque scènes où le jeu prend une tournure intéressante, sans pour autant se noyer dans la violence psychologique gratuite ; l’entrevue avec Monika principalement.

Quand on en arrive ici, on a déjà presque tout vu.
Ou est-ce vraiment le cas ?


            Contrairement à un jeu comme Undertale où je me suis amusé à finir le jeu de fond en comble en explorant toutes les pistes possibles, ce jeu est pour moi trop malaisant pour faire la même chose. Donc exit la fin alternative avec Natsuki au cou brisé, celle où l’on supprime le fichier de Monika avant la première run ou même la « bonne fin ». Je me suis contenté de me renseigner pour voir qu’elles existaient ! 

Et à côté je regarde les critiques. Sans surprise, la plupart adore : ah, le cassage du 4ème mur c’est sûr que c’est incroyable puisque ça fait écho à notre propre existence qui pourrait elle-même être prisonnière d’un monde plus étendu ; l’effet Matrix finalement. Sans surprise encore, certains trouvent ça ridicule ; à l’image des films d’horreurs, il y a toujours des gens qui disent qu’ils ont vu bien pire (et je les crois) et pour qui la suggestion n’a pas d’effet. Mais j’en vois quand même qui préviennent que c’est assez hard. 
           Et c’est quand même fou, ce style qui arrive à faire autant d’avis différents. Après, Doki Doki rebute aussi par son début lent, le souci c’est que moi j’aime jouer le jeu, i.e. m’investir émotionnellement dans ce à quoi j’assiste, même si c'est mal écrit. J'ai eu la patience de m'y investir aussi par curiosité. Que ce soit pour les films, les séries, les jeux, j'aime me mettre dedans. Et puis ayant l’habitude de lire, le texte ne m’a pas rebuté, au contraire. Ainsi, même ces deux premières heures gnan-gnan menant au suicide, à des années-lumière de ce à quoi j’ai l’habitude (j’ai joué à Emily is away qui est la seule chose proche mais pas vraiment d’un Dating Simulator à quoi j’ai pu jouer), bah ouais je me suis pris au jeu. C’est cliché, c’est mauvais, c’est irréaliste, mais on avait envie de l’aider cette pauvre Sayori ! Alors oui quand elle meurt, ça fait quelque chose, et quand on comprend que ça va s’empirer, et qu’on va se noyer dans une spirale infernale, forcément il y a de quoi rebuter.

J'aime l'humour.
           
           A noter que j’y jouais en anglais. Le fait de passer par le mécanisme d’une autre langue enlève certains côtés niais du jeu. Notamment, pour avoir vu quelques passages d’un stream où le texte est en français, c'en est exacerbé. Bref, si vous comprenez suffisamment l’anglais (il y a un certain niveau de vocabulaire mais ça reste abordable), il vaut mieux jouer ainsi.
          L’horreur psychologique du jeu est ici amenée par le contraste. On vous met des personnages d’animés mignon (culture japonaise oblige) mais en fait on va complètement détruire cette apparence peu à peu. Une fois qu’on sait vers quoi on se dirige, la musique devient insupportable (elle l'était déjà mais pour son côté répétitif). Le mécanisme sous-jacent est clair : on crée l’empathie, puis on l’attaque le plus possible. Un bon film d’horreur doit créer l’empathie pour ses personnages qui subiront l’histoire, pour que l’émotion soit créée. Mais finalement tous les films d’horreurs cassent le 4ème mur, même si pas de façon aussi littérale que dans Doki Doki : le vrai personnage qui ressort torturé, c’est vous.

         Bien évidemment, ce n’est pas là le message principal du jeu en lui-même. Dans un premier temps, on peut y voir une claque à ceux qui aime faire de la femme un objet (ce genre de jeu sont sexistes voire même à l’image d’une culture éphébophile), même si pour y croire il faut y aller fort. Au bout de cinq minutes (et encore) à voir que toutes les filles sont comme par magie attirée par un mec qui passe sa vie à regarder des animés et à geeker, on comprend que c’est à mourir de rire. Après, je me répète mais la peur liée à certains films d’horreur où jeux du genre reste quelque chose de totalement irrationnel. Elle ne naît pas d’une crédibilité, et même en toute connaissance de cause qu’on assiste à quelque chose de fictionnel, on peut choisir de s’y plonger dedans malgré les incohérences, et ainsi de développer cette empathie qui par la suite sera utilisée pour engendrer l’horreur.

Pas le personnage pour lequel j'ai développé le plus d'empathie, mais sans doute la scène la plus violente
         
              Mais soit, on voit quand même dans le jeu un semblant de critique du style auquel on veut nous faire croire au début. Surtout quand le scénario fait preuve d’un sexisme et d’une fantaisie totale à l’égard des pensées d’une adolescente, là encore on voit que ce n’est pas une façon d’éduquer des jeunes garçons à ce que l’amour représente. Le message passe bien, mais il faut avouer qu’il est amené de façon très cruelle. Car le public cible du genre Visual Novel catégorisé Dating Simulator se noiera sans souci dans l’histoire, et prendra les revirements bien dans la face à mon sens.
              Donc il y a un message à ce niveau là mais selon moi tous ceux qui jouent à Doki Doki sur recommandations ne sont pas ceux qui habituellement jouent à ces Dating Simulator. Plutôt du genre à ne pas prendre du tout au sérieux le truc, à s'ennuyer fermement pendant toute la première partie pour commencer à être divertis lorsque le plot twist décolle. Forcément, sans le biais d’attachement au personnage, l’horreur sera moins présente, et tournera même au ridicule : sans faire l'effort de vous plonger un minimum dans l'histoire, la suite aura beaucoup moins d'impact. C’est d’ailleurs pour ça que l’opinion des gens est si variable à ce sujet : il s’agit du style le plus subjectif notamment dans le cinéma. Paranormal activity, Nanar chiant à mourir pour certain, m’a fait réaliser que définitivement ce n’était pas pour moi. Un mélange d’excès d’empathie et d’imagination à mon sens, le tout amplifié par une sensibilité au stress. Oui, Doki Doki m'a rebuté à cause de sa face horrifique, j'avoue. 

           Reste l’autre côté dérangeant du jeu : cette notion qu’un personnage puisse s’adresser au joueur. Et là on en revient au principe que j’ai découvert dans Undertale. C’est plutôt bien amené, surtout si on se montre curieux concernant les poèmes pour voir le revirement arriver. Dès le premier poème de Monika, j’ai eu la sensation que ce n’était pas lié à la personnalité qu’on lui devinait, mais j’avoue ne pas être allé plus loin. La phase de discussion avec elle, une fois les trois autres supprimée, a un côté également très dérangeant. Le must est pour les streamers qui ont le droit à un easter egg qui pour le coup est assez réussi. Enfin, nous réduire à devoir attaquer le personnage en allant dans le fichier du jeu c’est assez amusant si j'ose dire.

              Est-ce que ça en fait un excellent jeu pour autant ? Selon moi, non. C’est malsain, c’est vraiment fait pour mettre mal à l'aise (et ça fonctionne selon la personne), mais le mécanisme est assez simple finalement. D'un point de vue scénaristique, on construit une illusion qu’on se contente de démanteler, et l’horreur m’apparaît toujours comme aisée à déclencher pour peu qu’on ai quelqu’un qui se prenne au jeu sans difficulté en face (eh ouais, moi par exemple). Disons que ça a l'air d'un jeu qui a fait beaucoup de bruit grâce à son contraste et à ses plot twists, mais qui apparaît un peu vide sur certains points. Après, oui ça reste dans les mémoires, et oui j’écris en ce moment même un article dessus ! Parce q'il a une particularité assez rare et novatrice, et il s'agit donc un jeu qui mérite d’être remarqué et discuté ; on a quand même de sacrés retournements qui prennent littéralement à la gorge. Après, l’expérience en elle-même ne m’a pas procuré un plaisir fou car je n’aime pas spécialement être torturé psychologiquement, mais je suis content d’avoir appris l’existence du jeu et d’en avoir suivi le scénario. La culture s'obtient parfois par le biais de réels sacrifices.

Ah vraiment content d'avoir pu lire ça, yes.
              
              Là encore, être rebuté au genre de l’horreur ferme des portes, puisqu’on a une bonne dose de culture qui y est liée. Je me contente donc la plupart du temps de lire les résumés pour en avoir une idée, et parfois je franchis le pas pour certains (Shining étant le plus récent, et qui finalement s’avère être davantage un thriller psychologique qu’un film d’horreur, soit un de mes styles préférés, mais aussi Saw, Sixth sense (la fin !) ou Cube). L’horreur c’est un peu LE genre du plot twist (avec les thrillers), et ceux-ci sont le mécanisme scénaristique le plus percutant. Alors forcément, quand on veut soi-même inventer des histoires, il faut bien se nourrir quelque part. C'est aussi un des moyens les plus pratiques pour faire naître l'émotion chez le spectateur/lecteur/joueur. 

        Bref, Doki Doki, une aventure certes indélébile (pas dans le bon sens du terme !) mais moyennement plaisante. Le vrai concept génial c'est ce 4ème mur brisé, mais je préfère Undertale qui le réalise dans un registre plus soft on va dire. Le vrai souci du jeu, c'est qu'une fois qu'on a deviné que Monika était l'antagoniste omniscient, il n'y a plus d'intérêt à s'impliquer émotionnellement dans quoi que ce soit, et on tombe dans un jeu d'horreur où le fond est assez discutable ; après le suicide de Sayori, je n'ai plus trouvé plus grand chose d'intéressant au jeu (à part stresser à chaque changement de tableau mais encore une fois c'est pas mon truc), mis-à-part cette utilisation des fichiers du jeu pour tuer Monika qui est assez habile il faut l'avouer. Dernier point sur la musique, simpliste au possible, qui convient extrêmement bien à l'ambiance à installer : un truc niais qui se répète sur cette suite d'accord basique, qui nous met dans l'ambiance d'un Dating Simulator sans âme au début, puis qui va devenir extrêmement malsaine voire insupportable. Oui elle est mauvaise, mais c'est fait exprès (enfin j'espère). Elle se prête bien à la distorsion pour accentuer l'horreur. C'est sûr qu'il n'y a rien d'incroyable non plus à ce niveau là. Graphismes plutôt sympas j'imagine, mais je ne connais pas suffisamment ce style pour pouvoir juger. Le fait que ce soit assez minimaliste et que chaque clic puisse engendrer un changement de tableau encore une fois se prête bien au genre...

             J'ai un peu plus donné mon avis dans cette revue, mais c'était un peu aussi le but. Le jeu est marquant c'est sûr, donc méritait d'être discuté, malgré les réticences que j'ai pu avoir à son égard et surtout le côté torturé voire un peu facile donné par le tout. Finalement, plus tôt vous arrêtez de jouer, mieux vous vous battez contre Monika ! Effectivement, à la fin, quoiqu'il advienne, elle supprime le jeu en disant qu'il cause plus de mal que de bien. Autant lui faire une faveur et s'arrêter avant qu'elle ne devienne complètement timbrée non ? On est mieux sans elle.
               Espérons juste qu'elle ne lise pas ça en ce moment :)

               :D











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