Hors-série 5 : Steins;Gate

Jeu : Steins;Gate
Concepteur : 5pb & Nitroplus
Genre : Visual Novel, Science-fiction
Appréciation : il présente à mon sens certains des indéniables défauts que je reproche aux animés, surtout dans la première moitié, mais une fois qu’on a franchi le début, c’est excellent. Vraiment à faire.

Introduction


On a parlé de Groundhog Day, film américain qui s’intéresse déjà aux voyages dans le temps. Evidemment, la référence dans ce domaine reste Back to the Future, un peu moins philosophique, et plus porté sur l’humour et l’aventure. 

On a parlé de Dark, excellente série européenne, qui propose un scénario béton, très complexe mais pas délirant (contrairement à Lost qui finit par s’égarer), également portée par des personnages aussi attachants que bien écrits. Malgré une dernière saison en demi-teinte pour ma part, un article sur l’ensemble de l’œuvre devrait sortir sur le blog d’ici peu !

Mais explorons maintenant une vision asiatique du voyage dans le temps, avec tous les codes qui lui sont propres. Aujourd’hui donc, je vais vous parler d’une claque culturelle, d’un scénario plutôt bien ficelé, et surtout d’une émotion propre à la culture nippone, sublimée à la perfection. Je vous préviens tout de suite, ça va être un gros article, n’hésitez pas à revenir dessus en plusieurs fois si la longueur vous effraie !

Quand on voit ça on peut s'attendre à de la niaiserie, mais ce serait passer à côté d'une sacrée histoire

Autant prévenir tout de suite avant d'aborder le sujet : Steins;Gate a des défauts criants. Je ne vais pas tous les énumérer, j'en reparle un peu plus tard, mais globalement ils sont pour la plupart liés au fait qu'on est ici face à un jeu qui s'adressant à un public assez précis, dans l'ordre : mec, hétéro, jeune, geek. Certes, on est encore assez loin (heureusement) d'un dating game, genre dont je ne peux pas vraiment parler vu que je n'ai jamais essayé, mais il est indéniable le scénario est fait pour plaire à ce public cible. Soit. C'est dit, c'est assumé. Ce côté a tendance à être moins dérangeant une fois qu'on a franchi les premiers moments cela dit (et laisse place à un très beau scénario), mais vous êtes prévenus !

Alors oui, encore un Visual Novel (VN). Probablement le dernier parce que je n’ai pas prévu d’y dédier d’autres articles. Il conclura donc, en tout cas pour le moment, cette exploration de ce genre commencée avec Doki Doki. J’aurais aussi eu l’occasion de jouer aux VN sur Starcraft (que je recommande vivement si vous aimez le jeu de base et même l’esport en général), au premier volet de Narcissu, et à la trilogie Phoenix Wright : Ace Attorney (qui va du correct au très très bon, notamment dans les dernières affaires de chaque opus, et surtout le tout dernier procès vraiment incroyable). En ce moment je joue à VA-11 Hall-A, un scénario tranquille ancré dans une ambiance cyberpunk, que je recommande aux amateurs du genre. Ils ont le mérite d'être (beaucoup) plus universels, bien qu'on ait toujours un biais du fait que le style de Visual Novel, et plus généralement de jeu vidéo, soit à dominance masculine. 

Bref, je ne m’avance pas comme connaisseur du style pour autant, mais je pense m’être fait un bon échantillon de ce qui est disponible. Il me resterait le style plus slice of life et les horror novels, mais honnêtement ça m'intéresse nettement moins. 

Et même si Steins;Gate, dont je vais finir par parler, est excellent dans son scénario, il faut garder à l'esprit que ça reste plus de trente heures passées sur un « jeu » sans réel gameplay. Autant les VNs qui durent quelques heures subissent moins d’exigence, autant quand ça dure plusieurs dizaines d’heures c’est déjà plus complexe. Phoenix Wright proposait astucieusement une illusion de gameplay, qui, si elle ne modifiait pas la trame suivie, permettait au joueur de s’impliquer et même de sentir quand il joue "bien". Je ne considère pas l’interaction avec le portable dans SG un gameplay. On peut lire des e-mails particuliers, certes, mais débloquer la vraie fin sans suivre un guide relève de l’exploit, et les autres "choix" sont assez évidents quand on voit qu’ils mèneront soit à la poursuite de l’arc initial, soit à une fin alternative avec le personnage concerné. Le reste n’influe pas directement sur l’histoire. 
Bref, il n’y a pas de gameplay.

Disons que c'est pas avec ça qu'on va aller bien loin.

Et donc pour la première fois ici (enfin deuxième, il y a eu Doki Doki, mais là on est plus dans le vif du sujet) on n’analyse pas un jeu, pas un film, mais un VN. Après, si le genre a ses défauts, n’étant ni vraiment un livre, ni vraiment un animé, ni vraiment un jeu, il a selon moi une énorme qualité : on s’implique beaucoup plus dans l’histoire. On suit un fil directeur, mais on a la sensation d’incarner le personnage. A noter que les doublages sont excellents et que les illustrations sont agréables, en tout cas elles ont su me plaire alors que je n’ai pas une grande expérience en la matière. 

La trame

Parlons maintenant de Steins;Gate un peu plus en détail. D’habitude j’essaye d’éviter ce genre de « résumé » pour ne pas tomber dans une simple redite d’un contenu, m’intéressant davantage à un commentaire ce que j’ai pu voir, en partant du principe que vous en gardez quelques souvenirs. Mais suivre un fil plus chronologique me semble plus adapté ici (en incluant les fins alternatives), et pour ajouter une touche d’originalité, on va suivre cette histoire avec le main theme de l’animé : Gate of Steiner.

https://www.youtube.com/watch?v=p6cmdLo4xaM

On passera sur les premières heures qui nécessitent un réel effort pour être traversées (au point que je commençais à regretter d’avoir acheté le jeu), mais qui marqueront leur importance dans la suite. Arrivent alors les premiers rebondissements causés par les D-mails, puis l’arc principal se dessine enfin alors qu’on arrive à la mort de Mayuri, la première. 

Voir la personne la plus innocente et gentille de l'histoire
se faire froidement descendre, ça fait quelque chose.

Musicalement, cela correspond au premier thème, porteur d’inquiétude et empreint de mystère. En effet, on est confronté à une étrange machine dont le potentiel est assez large, et qui expose les protagonistes aux méfaits de la « méchante » organisation qu’est le SERN. L’accord de transition, laissant clairement présager une suite et montrant une consonance mineure, est suivi (0:25) d’un son qu’on pourrait associer au premier Time Leap.

Cela nous mène donc à cette suite de Time Leap et d’annulation de D-mail, avec un Okabe qui mature enfin et auquel on peut alors s’identifier plus facilement. Il traverse l’enfer, littéralement, en voyant son amie d’enfance mourir encore et encore, puis en découvrant ce qui se passe si Suzuha revient en 1975 un jour à peine après qu’elle ait appris que Daru était son père. Cette scène est particulièrement poignante car on découvre qu’elle a été victime d’amnésie, et qu’une fois les souvenirs reparu, elle n’a pu trouver refuge que dans le suicide. Pour peu qu’on se soit un peu attaché à Suzuha, c’est déjà une belle claque d’émotion.


Une balade éternelle...

Par ailleurs, la fin alternative (1) de Suzuha est assez intéressante à ce sujet. Elle nous amène à partir avec elle vers l’an 1975. En effet, on rentre dans une boucle temporelle de deux jours, destinée à éviter le départ de Suzuha et son suicide, ainsi que la mort de Mayuri, faute d’alternative. Et on a l’occasion de voir tous les dégâts psychologiques que cela pourrait causer ; Okabe est littéralement le Dieu de son univers, s’il veut voir mourir Daru, s’il veut violer Suzuha, il peut s’adonner à tous ces instincts pour se tirer de l’ennui de vivre encore et encore les mêmes journées. Fort heureusement, il résiste, et Suzuha remarque la folie dans laquelle il se plonge, pour l’en tirer tant qu’il en est encore temps, ironiquement. 

Evidemment, dans la trame principale, Okabe corrige comme prévu le D-mail, ce qui fait disparaître Suzuha, qui mourra cette fois non pas de suicide mais de maladie. Fin douce-amère pour ce personnage qui, il faut le reconnaître, avait son charme. On peut comprendre l’hésitation d’Okabe déjà sur cette décision, mais le calvaire ne s’arrête pas là. C’est au tour de Faris de porter le chapitre, avec une histoire à l’origine assez plate mais qui s’avèrera être plus complexe qu’elle en a l’air. Okabe a l’occasion d’apprendre à connaître Faris, et surtout de découvrir le contenu de son D-mail, destiné à sauver son père. Là encore, un sacrifice se pose lorsqu’il est question d’annuler cet envoi ; cela reviendra à « tuer » le père de Faris, où est-ce vraiment le cas puisque la worldline le laissait présager au début ? Faris d’ailleurs se montre assez mature sur le sujet puisqu’elle comprend que ce qu’elle vit n’est pas vraiment la réalité, et elle accepte qu’il faille retourner en arrière. 

Un monde où le jeu de stratégie est dominé par une cat-girl surdouée...

La fin alternative (2) de Faris est directe, et quelque peu froide, avec cet Okabe qui se retrouve dans un monde étranger (worldline Omega), bien obligé de s’adapter, sans aucune possibilité de retour en arrière. Faris sera alors son seul point d’appui. Pourtant, même cette relation apparaîtra comme artificielle, puisqu’il n’est pas le même Okabe qui a su conquérir le cœur de la cat-girl. Celle-ci aura la bonté de se montrer compréhensive, et on nous laisse donc sur cette fin difficile à accepter mais pas si négative qu’elle en a l’air. Après tout, Mayuri survit, et l’avenir peut s’écrire sans que quiconque en connaisse sa nature.

On poursuit notre trame principale, cette fois avec le changement de sexe de Lukako ; en effet, un D-mail avait eu pour effet de faire en sorte qu’il soit une femme. La raison ? Pouvoir avoir une chance de sortir avec Okabe. En effet, plus que l’identité sexuelle, qui aurait pu être un réel sujet (assez avant-gardiste pour un scénario datant de 2009), la recherche du personnage s’axe davantage sur un but personnel, et sur l’attirance qu’elle ressent pour le même sexe (à l’origine Lukako est un homme, et il semble que ses sentiments pour Okabe étaient déjà présent avant son changement). 

Bref, on ne va pas épiloguer là-dessus, mais le traitement du sujet est un peu léger, et j'aime les euphémismes. Tout comme on passera sur la représentation des personnes noires dans l’histoire (avec de vrais relents de racisme quand on voit l’antagoniste de l’arc narratif de Faris) ou sur une tendance grossophobe vis-à-vis de Daru. Clairement, on ne joue pas à Steins;Gate pour ses réponses aux questions sociétales et morales actuelles, et c’est tant mieux vu ce qui est proposé à ce sujet... 

Cette parenthèse étant faite, j’ai détesté la fin alternative (3) de Lukako, comme beaucoup de gens à ce que j’ai pu comprendre. Pas parce que la sexualité du personnage est difficile à appréhender, à vrai dire tout comme Okabe on s’est habitué à un homme, qui par la suite devient une femme. Cela crée un décalage, mais c’est totalement voulu. Non. La raison, c’est que toute l’émotion résultant de cette fin alternative n’avait pas lieu d’être. Elle est forcée, en plus d’être moralement contraire à tout ce qu’Okabe a pu entreprendre depuis la première mort de Mayuri. 

Cette image... Je ne la comprends toujours pas.

Une hésitation pour Suzuha est compréhensible ; après tout, elle disparaît de sa vie et meurt, seule, terrassée par la maladie. Une hésitation pour Faris s’envisage également ; elle souhaitait éviter la mort de son père, et revenir en arrière le « tue » à nouveau. De plus, on a appris à connaître la « vraie » Faris, ces mémoires ont donc une valeur. Et il faut encore ajouter à cela que dans ces deux fins alternatives, il n’y a pas l’implication de la mort directe de Mayuri, elles laissent toutes deux entrevoir un espoir, quoique la fin de Faris est plus sombre dans la mesure où le monde change de façon drastique. 

Mais Lukako, globalement il s’agit simplement d’un changement de sexe, qui peut se faire autrement, et qui n’a pour but que de « séduire » Okabe ». Je n’arrive pas à envisager comment ce dernier peut développer des sentiments pour elle, surtout dans un tel contexte de chamboulement émotionnel. Il est clair qu’il sort avec elle pour lui faire plaisir avant l’envoi du D-mail, mais rien ne se passe vraiment. Alors au point de laisser Mayuri mourir (alors qu’il a déjà sacrifié les souvenirs de Suzuha et de Faris pour elle), et en plus de voir Lukako qui revient dans le passé elle-même pour REVOIR cette mort sans pour autant essayer quoi que ce soit, je trouve que c’est… illogique, irrationnel, et les mots sont faibles tant j’ai envie de dire immoral. 

Vraiment, cette image de fin avec l’enfant de ce couple qui sort de nulle part, ça m’a valu un soupir désabusé, un haussement de sourcil, et un retour immédiat vers ma sauvegarde. C’est amusant parce que ce genre d’erreur de scénario est semblable à ce qu’on a observé dans la saison 8 de game of thrones ; on développe un personnage, on lui fait traverser des épreuves, et finalement, sans trop savoir pourquoi, il prend une décision qui est contraire à tout ce qui avait été construit, sans que la justification ne tienne la route. On comprend le cheminement, mais il n’a pas été assez développé pour susciter une once de crédibilité. C’est probablement le seul égarement de développement de personnage qui apparaît dans SG, mais il est notable, malheureusement. On comprend l’objectif ; montrer qu’Okabe finit par sombrer dans l’acceptation du destin, mais la raison n’est pas suffisante. N'oublions pas qu'il s'agit d'une fin alternative, mais quand même. 

Bref, on arrive au chapitre 9, qui il faut le dire a un côté très perché : notre logeur est en fait allié du SERN, sa fille devient complètement folle et voyage elle-même dans le temps pour tuer tout le monde, on se bat avec Moeka dans une scène un peu dérangeante (les doublages sont assez expressifs pour le coup, tout aussi dispensables) et à la limite du limite. Pas grand-chose à dire ici, les rebondissements s’enchaînent et sont plutôt divertissants, même si plus ou moins justifiés, et on parvient à annuler le D-mail de Moeka. L’arc de Nae me paraît quand même un peu « trop », j’ai conscience que voir son père mourir constitue un fort traumatisme, mais là on parle d’une transformation en psychopathe… Après pourquoi pas, ça avait le mérite d’être surprenant.

Le petit passage creepy du jeu

L’ensemble de ces intrigues (donc du chapitre 5/6 jusqu’au début du chapitre 10) sont décrits musicalement par cette première partie sujette à plusieurs répétitions d’airs musicaux (de 0:25 à 1:17) qui traduit tout le chemin parcouru pour revenir au point de départ. Ces répétitions sont bien sûr à l’image de l’histoire que l’on fait se répéter avec les D-mail, et même si ce passage musical est à consonnance plus positive (qui traduit une volonté se mettant en place ; celle d’Okabe qui veut lutter pour sauver Mayuri), il reste des notes dissonantes qui se glissent de çà et là, témoignant des sacrifices réalisés dans l’objet du sauvetage désiré.

Et donc retour à la case départ, ou presque, avec ce choix cornélien entre Kurisu et Mayuri. L’une doit mourir pour que l’autre survive, et il semble n’y avoir aucun échappatoire cette fois-ci. Le choix est difficile, car des sentiments se mettent en travers de la décision d’Okabe : ceux qu’il nourrit pour Kurisu. Le choix de Mayuri est presque fait à contre-cœur. Moralement, c’est le bon, mais égoïstement peut-être aurait-il pu en être autrement, bien que Kurisu elle-même souhaitait la survie de Mayuri à ses propres dépends… 

Kurisu a survécu dans le ciel peut-être ?

La fin alternative (4) de Mayuri est la plus évidente à obtenir (on envoie les D-mails quand c'est possible, et il suffit de ne pas suivre de guide pour ne pas tomber dans la voie de Kurisu). Elle n’est pas la meilleure à mon sens car dès le chapitre 2, on comprend que Mayuri est une amie d’enfance, une amie très proche certes, mais qui ne donne pas lieu à des sentiments amoureux de la part d’Okabe. Leur relation sonne donc un peu faux. Malgré cela, le côté poétique de la jeune femme permet de rehausser l’intérêt de cet arc, et bien qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas de la « bonne » fin, elle est finalement celle qui récompense au mieux les efforts d’Okabe. Si on exclut la True Ending bien sûr. 

Musicalement, on entend une reprise du thème d’origine. La différence est bien sûr la façon dont il se termine (1:59). En crescendo, montée en apothéose, avec une réelle tension dramatique sur les dernière notes teintée d’une sonorité mineure. Cela représente ce moment où l’on voit Kurisu, mais que l’ordre de suppression a déjà été envoyé. Il n’y a alors pas de retour en arrière possible. Un déluge de sentiment s’est abattu sur nous : le choix entre Mayuri et Kurisu. D’ailleurs à partir du moment où la main droite se libère en croches, il y a toujours une mesure plus haute en tonalité qui vient en contrecoup d’une mesure plus grave, illustrant le débat intérieur qui ronge Okabe. La balance penche mais finalement on finit sur l’inverse, une mesure grave (Kurisu ?) qui remonte (Mayuri ?) pour finalement chuter (car il n’y avait pas de bon choix in fine). Retour dans le temps, et on récupère le thème. 

Cela nous mène au retour à la Bêta Worldline, où Kurisu est bien morte. On passe rapidement sur la fin alternative (5) où l’on n’a pas déclenché ces fameux 6 « flags » qu'on récupère via des choix précis sur les mails de Kurisu, et à la fin du générique, alors que tout semblait perdu, on reçoit un appel de Suzuha. Ce qui va enfin nous permettre de refermer les pièces du puzzle, donnant son importance à ce prologue qui sans surprise se révèle d’une importance capitale. La plus grande surprise proviendra sûrement de l’impact qu’au eu cet Upa en métal, menant indirectement à la troisième guerre mondiale. 

Pour peu que vous vous soyez pris au jeu, cette scène est certainement la plus dure

Premier retour dans le passé, nécessaire pour causer l’existence du futur Okabe : c’est bien sûr lui-même qui tue Kurisu, ce en voulant la protéger de son père. Mais Suzuha avait mentionné deux tentatives, donc rien n’est perdu. On apprend alors ENFIN, après s’être interrogé dessus tout le long du jeu, ce que ce premier message d’un émetteur inconnu signifiait ; on ne pouvait simplement pas le décoder dans un premier temps. Ce qui nous mène à la rebelote, avec un dénouement assez viscéral (le sang utilisé pour l’illusion est le nôtre après tout !), et un beau doigt d’honneur à ce qui aurait pu constituer un paradoxe temporel. L’action dans le passé permet de déclencher tout l’aller-retour entre les deux worldline, sauf que la décision qui « tuait » Kurisu n’aura pour effet que de la réintégrer dans la réalité où son meurtre a été déguisé, la laissant bien vivante. 

Musicalement, on reprend le même schéma que pour les D-mail sauf qu’on a bien deux « fins » qui se dessinent : la première, entamée par la reprise du thème un octave au-dessus (les mêmes notes prises plus aiguës), se clôt à 2:48, mais évidemment on repart pour un tour, cette fois-ci à la hauteur d’origine, la musique illustre le combat d’Okarin mené pour s’illusionner lui-même, puis retour vers le futur, cette fois-ci le dernier (3:14). 

Alors est-ce que tout est résolu pour autant ? L’épilogue permet de voir cela de plus près. Nous sommes bien dans la bêta worldline, mais un sentiment de tristesse s’en dégage puisqu’on ne connaît pas Kurisu. Enfin, c’est plutôt qu’elle ne nous connaît pas, puisque le Reading Steiner nous laisse le sentiment amoureux qu’on a développé pour elle. Il y a un côté tragique, car on sait qu’on a œuvré pour le bien, mais finalement on n’aura pas réussi à conserver la relation naissante avec la jeune scientifique.

Ou est-ce vraiment le cas ? Ce qui nous amène à un final extrêmement fort en termes d’émotions. On croise Kurisu dans la rue. Certes, un hasard « fortuit » mais l’appétit pour une happy ending qu’on aura pu développer nous permettra de passer outre cette facilité scénaristique. Et ce n’est pas tant la rencontre entre les deux personnages qui est belle, quoique déjà on est heureux parce qu’on a retrouvé Kurisu, mais plutôt ce qu’elle répond lorsqu’Okabe l’appelle Christina. 

Ce simple échange de regard justifie bien 30 heures de jeu

Car avec cette réplique, on comprend que le souvenir n’est pas éteint, que l’affect reste. On comprend qu’il y a une chance de renouer cette relation, de récupérer ce qui a été perdu sans pour autant le rendre artificiel. Et certes, il s’agit d’une morale aussi niaise que l’amour qui traverse le temps, mais ça n’a que peu d’importance à ce moment-là tant le chemin mené par Okabe était parsemé d’embûches et de souffrance. C’est d’ailleurs admirable à quel point ces deux derniers chapitres m’ont marqué (10 et 11) alors qu’encore au chapitre 9 j’étais plus à qualifier l’aventure d’intéressante que de bouleversante. Quand on voit les réactions des gens, et la notoriété que le jeu s’est créé dans le milieu des VN, on voit que ce choix d’happy ending était le bon. 

Musicalement, on repart dans ce thème un peu sombre, mélancolique, réminiscent de l’amour apparemment perdu avec Kurisu. La différence, c’est que ce thème semble se terminer sur une note plus positive, porteuse d’espoir (le fait que Kurisu ait gardé quelques souvenirs), et cette fois pas de sons qui témoignent d’un changement temporel. A noter qu’on conserve toutefois cet accord qui ne semble pas « terminer » l’histoire. Le jeu ne nous montre pas ce qu’il se passe après, et c’est selon moi ce qui contribue à magnifier cette fin, la laissant vierge à l’interprétation que l’on souhaitera en faire. 

La discussion


Alors oui, finalement au-delà de la complexité liée aux voyages temporels, plutôt bien traitée par ailleurs, j’y reviendrai, c’est plus l’affect qu’on développe par rapport au personnage qui justifie le succès du titre. Sur ce sujet, le support du VN est plutôt adapté car il s’agit probablement de celui facilitant au mieux l’immersion dans les personnages. Contrairement à l’animé, on a toutes les pensées et toutes les conclusions d’Okabe à disposition, nous permettant d’être réellement dans sa tête, et de vivre son histoire à travers le prisme de sa subjectivité. Par rapport à un livre, la plu-value vient des réactions qu’on observe sur les visages des personnages, qu’on visualise directement et qui sont plus simples à assimiler pour notre esprit que des mots. On s’attache ainsi plus facilement à eux. La musique et les effets viennent accentuer le réalisme, et augmentent les phases d’émotion. Moins d’accès à l’imagination, mais davantage de sens mis à disposition pour suivre l’histoire.

Les images viennent remplacer les descriptions écrites qu'on trouvera dans un livre

Pour ce genre de scénario, le style paraît adapté en tout cas. Il a fonctionné pour moi, alors que je ne suis pas forcément amateur à l’origine, il demande par contre du temps et un peu de motivation ; rien d’insurmontable, quoiqu’il soit vrai qu’avec l’avènement des films et des séries notamment, notre patience se soit bien réduite ces dernières années. On recherche le frisson sans prendre le temps de construire ce qui le déclenchera. Ici, les premières heures sont peut-être moins intéressantes, mais c’est de l’entièreté de l’expérience que le final tire toute son émotion. Il faut poser les choses, s’immerger dans un univers pour en ressortir transi d’émotions. 

Bref, c’était beau, ça m’a trotté dans la tête pendant un bon bout de temps, et j’ai totalement adhéré au déroulé du jeu alors que les premiers instants m’ont laissé sceptiques. Reste à traiter l’autre sujet de Steins;Gate : son approche du voyage temporel. J’avais prévenu, c’est un long article ! 

Là où Dark prend une vision très logique et imbriquée du voyage temporel, le sujet n'en est pas moins huilé dans Steins;Gate. Le postulat de base est plutôt habile, mais la liberté prise est aussi plus souple. Une seule worldline, et non pas plusieurs dimensions qui finalement laisseraient croire à une infinité d’univers. Le paradoxe temporel n’a pas vraiment lieu d’être, ce à cause du déterminisme qui règne dans la logique de ce jeu : certaines choses doivent arriver pour que tout fasse sens. La mort de Mayuri est inéluctable dans la worldline Alpha, tout comme l’est la dystopie du SERN. 

Ce déterminisme (ou principe de causalité) ne laisse aux voyages dans le temps que peu de possibilités. Les Time Leap ne modifient rien, ou presque, et sont d’ailleurs plutôt adaptés en tant que garant d’une certaine solidité scénaristique. Les voyages temporels sont également sujets à ce déterminisme, mais le fait qu’il y ait plus de liberté quant au moment où s’effectue le voyage et que les plages temporelles de convergence sont alors clairement définies leur octroie un certain potentiel. C’est déjà plus instable pour conserver une cohérence, mais bon. Cela donne à Suzuha un réel levier pour infléchir sur le cours des choses, là où Okabe avec ses Time Leap officie davantage dans la temporisation.


Le compteur de divergence qui s'affiche à chaque envoi de D-mail

Ce qui nous laisse avec le vrai pouvoir : celui des D-mail. Leur effet est purement théorique : on peut s’imaginer cela comme une modification du passé, qui donne lieu à une simulation liée à l’ajout d’une information future, qui enfin engendre un nouveau présent dans lequel l’auteur du D-mail, s’il a le Reading Steiner, distinguera les différences. Là où le principe semble étrange, c’est qu’on suppose alors que deux Okabe liraient le D-mail en même temps : par ailleurs, dans celui qui est envoyé pour qu’Okabe se rende compte de ce qui cause la troisième guerre mondiale, on peut imaginer que l’Okabe du futur a vu sa réalité changer, tandis que l’Okabe du passé continue aussi à vivre avec Kurisu qui est en vie. Cela supposerait alors que deux lignes se feraient en même temps. Evidemment, ce sont les mêmes worldline, donc cela peut avoir du sens. 

Cette question se voit apporter une réponse dans Steins;Gate 0, selon moi un opus facultatif et un peu brouillon, mais bien sympa à suivre, beaucoup plus sombre aussi. 

Intellectuellement, le procédé des D-mail est le plus intéressant des trois, tout simplement parce qu’on l’imagine sans problème, que la logique est plutôt bonne et ne donne lieu à aucun paradoxe. Enfin, scientifiquement parlant il paraît plus simple d’envoyer un message dans le passé qu’un homme. Le Time Leap reste à mon sens un peu complexe, quoi qu’avec une bonne connaissance de la mémoire et de son fonctionnement, pourquoi pas, et le Time Travelling n’est pas vraiment expliqué scientifiquement, l’astuce est de dire qu’ils l’ont inventé « plus tard ». Soit.

Pour clore cette longue revue, petite question de logique, qui rappelle le petit exercice que j’avais fait pour Inception : combien d’Okabe a-t-il fallu au minimum pour donner naissance à celui qu’on suit, en gardant un certain sens ? 

La petite gymnastique intellectuelle

Il faut bien le mériter ce baiser

On a l’info sur deux worldlines (on ne compte pas l’Omega, issue de la Faris Ending) ainsi que leurs déclencheurs :

La worldline Alpha résulte du premier D-mail envoyé, où le SERN intercepte une transmission qui vraisemblablement vient du futur. Lorsqu’Okabe dit à Daru une semaine avant que Kurisu est morte, on en déduit clairement que le mail vient du futur. 

La worldline Bêta résulte de la mort de Kurisu. Plus particulièrement, elle nécessite que son père récupère la thèse, fournie avec un Upa en métal. Il n’y a pas de voyages temporels à l’origine dans la Bêta worldline. 

Par la nature du déclencheur d’Alpha, on peut imaginer qu’un autre D-mail que celui lié à la mort de Kurisu puisse alerter le SERN. Le problème de cette mort, c’est qu’on n’a pas vraiment d’autre explication qui donnerait une source autre que le geste d’un Okabe futur. A l’origine, le futur n’est pas encore écrit, donc personne n’a pu tuer Kurisu. Si c’était son père, il aurait été arrêté et le cours des choses aurait franchement divergé. Inversement, s’il n’implique pas la mort de Kurisu, l’annulation du D-mail ne devrait pas poser de problèmes, et la worldline Bêta n’aurait pas lieu d’être. 

Si on suppose que Kurisu est tuée par son père à l’origine, on remonte assez facilement le fil événements. Mais qu’en est-il si on reprend le prologue, qu’on y ôte tous les événements provenant du futur, et qu’on déroule l’histoire ?

Okabe 1 : A l’origine, Kurisu ne meurt donc pas mais assiste quand même à la thèse de son père (qui n’est pas annulée puisque la machine à voyager dans le temps n’existe pas à la base). Elle rencontre Okabe, d’une manière ou d’une autre un D-mail est envoyé, puis surviennent tous les évènements d’Alpha. Suzuha n’existe pas encore, donc Mayuri meurt sans qu'Okabe n'ait le temps d'utiliser la machine. Il rejoint la rébellion, puis décède en 2025, tandis que Kurisu travaille pour le SERN. Suzuha naît, utilise la machine de son père, et remonte le temps pour rencontrer le deuxième Okabe. 

La Sauveuse, version Alpha

Okabe 2 : Via le retour de Suzuha, Okabe a l’occasion d’effectuer ses Time Leaps et ses D-mails pour éviter la mort de Mayuri. Toutefois, l’annulation ultime du D-mail ne serait pas suffisante, car finalement la conclusion serait la suivante : si Kurisu survit, un premier D-mail est forcément envoyé d’une manière ou d’une autre (ouais c’est la pirouette). Il convient alors, pour éviter la dystopie du SERN, de tuer Kurisu. On peut tout à fait imaginer que dans la worldline d’origine Okabe n’avait pas de sentiments pour elle, et donc remonterait le temps pour la tuer. Mais je pense qu’on peut tout aussi bien s’imaginer que c’est Suzuha qui commet le crime. Par ailleurs, cela évite un paradoxe temporel puisqu’elle n’existait pas à l’époque, et peut tout à fait mourir avant sa naissance pour qu’il n’y ait pas de télescopage. 

Okabe 3 : Voit Kurisu morte, ce qui l’amène dans la worldline Bêta. Il envoie le D-mail, et swappe sur la worldline Alpha. On refait tout un tour (Suzuha n’existe pas encore, vu qu’on a changé de ligne), ce qui nous amène à…

Okabe 4 : Qui est confronté au choix du chapitre 10, et qui choisit d’épargner Mayuri en supprimant le D-mail d’origine. Il est catapulté dans la worldline Bêta. Kurisu est bien morte, eeeeet c’est pas de bol. Okabe imagine quand même un stratagème pour sauver Kurisu (il ne sait alors pas comment elle meurt), puis Suzuha naît et est bien décidée à changer les choses, parce que la guerre c’est mal. 

Okabe 5 : Même chose, on revient sur la worldline Bêta, sauf que cette fois Suzuha vient prévenir Okabe. Toutefois, il n’y a pas de raison qu’elle prévoit de quoi faire deux trajets, et par le principe de causalité, c’est bien lui cette fois qui tue Kurisu. D’où le cri de détresse, d’où la réaction de Kurisu lorsqu’elle dit à notre personnage au chapitre 1 qu’elle nous a vu il y a 15 minutes, et donc vous voyez où je veux en venir. Cela cause une légère divergence au niveau de la bêta worldline (le meurtrier n’est plus le même après tout), ce qui fait tout de même disparaître cette Suzuha précise et sa machine lors du retour vers le futur. Okabe est malheureusement bien forcé à accepter la réalité, comprend que le principe de causalité mène à la mort de Kurisu, mais trouve un moyen de bluffer les lois de l’univers…

La Sauveuse, version Bêta

Edit après visionnage de SG0 : Cet Okabe, qui correspondrait à celui de SG0, n'a tout simplement pas la motivation de retourner encore une fois sauver Kurisu notamment parce que Mayuri ne le force pas à le faire. Le fait que les Okabe de SG0 et SG vivent exactement le même passé pose également un souci assez majeur : on sait qu'Okabe ne peut pas avoir tué Kurisu au début, donc le cri qu'il a entendu ne peut pas être le même. En fait, supposer que ce détail ne change pas est un peu compliqué à prendre en compte. Mais si en repartant de l'Okabe 5, on suppose qu'en effet Suzuha avait prévu un voyage, ce voyage menant à la mort de Kurisu, et qu'Okabe 5 suite à cet échec pense que c'est le fait de n'avoir prévu qu'un voyage qui posait problème...

Okabe 6 : Dans cette réalité, dans ces worldline avec leurs divergences propre, on fait Bêta => Alpha sans Suzuha.

Okabe 7 : Puis Bêta => Alpha avec Suzuha => Bêta sans Suzuha.

...on peut alors rajouter un Okabe ici (donnant lieu à un total de 9 Okabe in fine), l'Okabe de SG0, qui lui, faute de motivation ne parvient pas à revenir sauver Kurisu, et met en oeuvre tout le plan Skuld : plus besoin de 2 Okabe supplémentaires vu que cette fois-ci il n'y a pas de légère différence. 

Okabe 8 : Par le plan Skuld, après ces Okabe de transition, ce dernier Okabe vit le jeu qu’on a pu jouer car l’existence de Suzuha est avérée. Ce qui nous mène, sans transition, à l’happy ending. 

C’est un peu capillotracté j’en conviens, mais le problème que je vois avec les théories qui traînent c’est cette absence d’explication de l’origine de la mort de Kurisu. Bien évidemment, c’est plus simple si on part de là en supposant que son père l’ait tué, mais selon moi ça n’a pas vraiment de sens puisque ce dernier serait alors ciblé par une enquête, et vu les apparentes circonstances il aurait été démasqué… Ce qui empêcherait la WW3 d’avoir lieu. Et donc quand Okabe reviendrait de la worldline Alpha la seule raison de ramener Kurisu c’est le côté relationnel. Après on peut partir du fait que la WW3 résulte quoi qu’il advienne de la mort de Kurisu, et que le fait que son père la déclenche n’est que secondaire. 
A noter que je ne suis pas certain de la nécessité des Okabe 6 et 7. En soit vu que les choses ont changé il est nécessaire de refaire la trame mais en même temps c’est un peu paradoxal, vu qu’on a bien l’Okabe 5 qui existe vis-à-vis de l’Okabe 8 (ce sont les deux qui apparaissent dans le scénario du jeu), et que ça ferait plus sens qu’ils se suivent. 

Et du coup ce problème est résolu par le fonctionnement de SG0 !

Les mots de la fin


Je vois page 9/9 sur mon word et j’avoue que ça me fait un peu peur ! Si vous en êtes arrivés au bout, ça m’aura fait plaisir de partager mon avis sur le jeu. Personnellement ça a été une grande claque qui m’a trotté dans la tête plusieurs jours après le dénouement, et je me devais d’écrire à son sujet ! Le fait qu’il y ait beaucoup de fins différentes a bien rallongé l’article, mais cela me semblait pertinent.

J’espère que le suivi du thème musical par rapport à l’intrigue vous aura intéressé ! Honnêtement je le trouve tellement adapté à l’œuvre que c’en est effrayant, il spoilerait presque le jeu. 

Prochain article, on reviendra sur une forme plus classique et une masse plus digeste. En revenant sur Dark peut-être ? 
 

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