Article 37 : Tenet

Réalisateur : Christopher Nolan

Genre : Action / Science-fiction



Un élégant palindrome en guise de titre, également centre du carré Sator, un Nolan aux commandes, des salles de cinéma à sauver : tous les ingrédients étaient réunis pour faire de Tenet un grand film, qui marquerait l’année 2020 de son empreinte. Il s’agissait pour moi d’une des plus grosses attentes cinématographiques de l’année, avec l’(énième) adaptation de Dune prévu pour décembre de Denis Villeneuve. Le trailer vient de sortir d'ailleurs, sur une lente adaptation d'Eclipse de Pink Floyd, je vous le conseille si jamais !

Quand j’ai vu les premières critiques tomber, j’ai commencé à douter. Et en allant le voir dimanche dernier, je nourrissais déjà quelques a priori. Je m’attendais à quelque chose d’un peu pompeux, voire intello, et d’un autre côté je savais qu’il allait falloir s’accrocher pour tout comprendre. Je suis adepte des scénarios creusés, et des histoires un peu alambiquées faisant naître une certaine sensation de puzzle se résolvant de lui-même lorsqu’on y est confronté, ce qui me faisait penser que Tenet avait le potentiel de me plaire malgré les critiques un peu mitigées.

En prélude à ce qui va suivre, je tiens à (re)préciser que j’ai un a priori positif sur les productions de C. Nolan. J’ai beaucoup aimé Memento, Le Prestige fait partie de mes films favoris, Inception m’avait donné une belle claque, et Interstellar était vraiment très sympa à suivre malgré une fin douteuse. Dunkerque m’avait semblé un peu plat, mais pas si mauvais que ça intrinsèquement. Le thème, différent du Nolan habituel, justifiait pour moi le manque d’engouement que j’ai eu pour le film. Nolan, oui, les films, de guerre, oui, les deux en même temps, peut-être moins. 

Mais très honnêtement, la vraie raison motivant l’écriture de cet article sur Tenet, c’est de changer de ce que j’ai pu faire jusque-là : parler d’un film que j’ai trouvé, globalement, mauvais, et surtout, d’expliquer pourquoi. Aussi parce qu’il m’a fait penser à une idée qui me tient à cœur en ce moment : peu importe la réalité ou la vérité, car seul le ressenti nous touche. 

Car oui, j’ai essayé de comprendre ce qui se passait dans Tenet, d'en comprendre sa réalité, mais j’ai vite trouvé le déroulé un peu fade. Et ce au point qu’à la fin, j’étais tout simplement plongé dans l’état d’esprit comme quoi je regardais un film d’action avec un petit concept original en bonus. Ce qui m’étonne encore plus c’est que malgré l’attention que j’essayais de porter par intermittence aux détails donnés par le film, j’en ai raté la conclusion sur le sacrifice de Neil (sensé être le pinacle du scénario ?). Je pense qu’à cet instant, je n’en avais tout simplement plus rien à faire.

Alors comment on en arrive là ? Parce que, soyons honnête, au niveau de la réalisation, la maîtrise est là. La BO est adaptée, les scènes d’actions sont magnifiques (cette cohérence inversée/normale est visuellement extrêmement satisfaisante), les dialogues sont plutôt bien menés malgré leur manque de chaleur, les effets spéciaux convaincants, et j’en passe. Alors c’est au niveau du scénario peut-être ? Là encore, pas vraiment. Si on ne le voit pas forcément au début, il fait sens. Mieux, il apporte quelques réflexions sur des concepts plutôt intéressants. Par exemple, on peut voir une critique sur nos actions envers l’environnement qui condamnent nos petits-enfants en nous faisant voir, par effet inversé, les actions du futur destinées à assembler les neuf composants de l’algorithme qui condamnent les grands-parents : on perçoit le protagoniste comme un « gentil » qui nous sauve de l’apocalypse, mais finalement nos actions sont tout aussi mauvaises pour le futur de l’humanité, ce qui ferait de nous autant de coupables n’ayant pas à être sauvés.

À ce sujet, les revues positives de ce film se basent essentiellement sur la complexité de ce scénario, certains défendant que sa mauvaise réception est due à l'habitude des spectateurs d'être confrontés à des histoires basiques, d’autres, plus mesurés (et sûrement ayant la chance d’avoir une vision moins étriquée des choses), puisent dans certains points du film le rendant intellectuellement satisfaisant. 

J’ai deux reproches qui justifient mon appréciation du film. Le premier, c’est l’abandon total du développement quant à la personnalité des personnages. Je suis prêt à supposer qu'il s'agit d'un choix du réalisateur, qui dans une certaine mesure peut se justifier. Moi-même, du moins dans le passé, lorsque j'écris, ce point a souvent été la partie la plus lourde. Avec le temps toutefois, j’ai appris à la respecter, car si on peut utiliser les personnages seulement pour servir l’histoire, processus pas forcément évident à mettre en œuvre, il m’est apparu que tabler sur le développement de ces personnages pour justifier l’histoire consistait en une approche potentiellement plus simple, et plus efficace. Une bonne partie des films que nous regardons développe d'ailleurs un minimum la personnalité de ses personnages. 

Dans Tenet, ce choix se manifeste par un manque total d’attache pour chacun d'entre eux, tout simplement parce que toutes leurs réactions sont directement tournées vers l'intrigue principale. Aucune émotion vis-à-vis de cette mère ou de cet enfant qui n’apparaît même pas à l’écran, aucune émotion quant au sacrifice de Neil qui a été inversé durant une bonne partie de sa vie, apparemment pour sauver l’humanité, aucune émotion pour le protagoniste à qui on n’a même pas pris la peine de donner un nom. Le personnage du méchant était peut-être le plus travaillé, mais pourquoi faut-il toujours en faire un russe ? Référence aux James Bond ? Le souci c'est qu'on n'est pas vraiment dans un film de pur divertissement ; la preuve, c'est bien la froideur avec laquelle est traitée l'entièreté de l'histoire. Sorte d'aseptisation de toute trace d'humanité dans un scénario mécanique au possible, ratant même sa caractérisation de divertissement. 

Bref, les personnages nous apparaissent tellement distants, et sont perdus dans une situation si éloignée de notre réalité qu’on a du mal à trouver un quelconque intérêt à ce qui se passe à l’écran. Même leurs motivations paraissent faibles, trop simplistes. Les domaines de l’imaginaire doivent se baser sur des personnages solides, ou alors, ils doivent présenter un concept novateur et intéressant, voire amusant, au spectateur. Si c'est la seconde option qui est préférée, l’histoire devient le seul ressort de l’œuvre, et elle se doit d’avoir un réel intérêt par rapport à nos propres ressentis. Typiquement, la plupart des films d’horreur se basent sur des personnages très limités, mais présentent des concepts suffisamment intéressant pour nous tenir en haleine (du moins à l’origine dans le cas de sagas, mais des films comme Saw, ou même La Plateforme sont portés par leur concept, et non pas leurs personnages). L'humour peut également être une piste, faisant le lien avec les spectateurs, mais ce n'est clairement pas le thème ici. 

Bref ; c’est cette deuxième partie, le scénario, sur laquelle devrait s’appuyer Tenet. Et vu le sacrifice évident fait concernant le développement des personnages, on doit s’attendre à du très lourd dans le domaine. Surtout pour un film grand public, où le risque pris est énorme, et n’aurait jamais fonctionné si le nom de Nolan ne portait pas toute la dimension commerciale de Tenet.

Ce qui me mène au deuxième reproche que j’émets vis-à-vis de ce long métrage. Un visionnage ne suffit pas à capter l’entièreté de l’histoire. Disons qu’il permet de dessiner une image de fond satisfaisante, mais plusieurs subtilités justifiant le film échappent tout de même au spectateur. En fait, j’ai la sensation que l’hypothèse de l’inversion fait naître tellement de paradoxes que j’ai décidé de ne pas m’intéresser à ceux-ci. Les hypothèses de temporalité prises dans Dark, Steins;Gate ou même Retour vers le Futur sont à mon sens meilleures, et n’ont pas besoin (hormis pour Dark) d’être camouflée sous une épaisse couche de pseudo-complexité. 

Les ten(et)ants de l’histoire, ce qui motive l’existence de cette dernière, ne sont pas assez creusés pour qu’on puisse les saisir dans leur entièreté. Mentionnés deux fois dans tout le film, cela ne permet pas vraiment une justification honnête du déroulement, des actions qui s’y passent. D’où ma réaction initiale : certes, il y a une histoire, plutôt justifiée, mais en quoi j’en ai quelque chose à faire ?

Après, ces motivations, et même le fonctionnement de l’inversion, se précisent sur un deuxième visionnage. Et peut-être qu’à ce moment, on commence à saisir l’intérêt du film, les messages cachés, le contexte, ses conséquences, et j’en passe. Mais depuis quand un film doit être vu deux fois pour consister en un produit correct ? Certains films méritent d’être vus deux fois, mais c’est aussi parce que dès le premier visionnage, ils se suffisent à eux-mêmes ! Un exemple qui me tient à cœur, c’est Shutter Island, qui crée une tension couronnée par son twist au premier visionnage, et qui lors du second nous révèle tous les secrets qu’il exposait sans vraiment les cacher. Les deux fois, on s’éclate. Et la fin nous donne envie de revoir le film. C’est comme ça que doit fonctionner un film qui demande à être vu deux fois. Là, on a juste l‘impression d’être les cobayes du réalisateur, qui lui a les clés pour comprendre son script mais échoue très clairement à nous les donner. 

Honnêtement, Tenet ne m’a pas donné envie de le revoir, et la première fois n’a d’ailleurs pas vraiment été satisfaisante. Même avec du recul, sa pseudo-nouveauté de deux temporalité se rejoignant fait écho à Memento, en tout cas dans sa construction, et se voit parasitée par un grand nombre de problèmes concernant sa cohérence globale. L’exemple du masque à oxygène nécessaire lorsque l’on est inversé revient pour moi à panser quelqu’un à qui on aurait coupé la jambe (ou donner une aspirine à une personne souffrant d’un cancer en phase terminale, j’hésitais pour choisir la comparaison la plus adaptée). C’est vraiment la seule limite à laquelle on veut répondre en cas d’inversion ? En terme de cohérence ? Je me demande déjà comment on peut se déplacer, comment on peut utiliser des objets, mais non. Seul un problème d’absorption de l’air se pose. Autant balayer cette question, puisque l'ensemble de la cohérence se voit devenir totalement piétinée (plus ou moins par un "ta gueule c'est magique" vu que les mécanismes d'inversion sont inventés dans le futur). Autant assumer cet aspect, sans que ce soit une mauvaise chose puisqu'il s'agit d'un ressort assez commun, et en profiter pour nous donner des informations claires sur la trame.

Même la scène finale, plutôt sympa et du genre à retourner le cerveau, semble sortir de nulle part. On comprend à peine contre qui se battent les soldat, on a l’impression que les explosions sont causées par les deux régiments, sans que l’ennemi ne soit clairement visible. L’action s’enchaîne sans qu’aucune transition ne survienne pour la justifier, ou même la poser. C’est l’écueil principal lorsque l’on fait le choix d’abandonner ses personnages : les scènes transitoires sont plus difficiles à imaginer, puisqu’absolument tout doit servir le scénario, et non pas les caractères et motivations. 

Bref, peut-être que le côté « intellectuel » de ce film, si réellement ce terme est ici adéquat, saura combler certains, mais j’avoue y être resté plutôt indifférent. Aucune réflexion profonde n’est née de cette séance de cinéma, ni aucune puissance émotionnelle, à croire que le départ de Jonathan Nolan en tant que co-scénariste des films de son frère ait ôté ce qui en faisait leur succès. Un blockbuster qui se prend pour autre chose, mais qui en cherchant l’originalité se prend les pieds dans ses propres idées, livrant une bouillie indigeste qui aurait méritée d’être mieux développée pour être efficace. Peut-être le format du simple film était-il trop court pour cette idée.     

NB : Ceci est mon avis, et je reste ouvert au débat pour ceux qui souhaitent en discuter ! Mais en résumé, je n’ai pas aimé le film parce qu’il n’a donné lieu à aucun ressentis, et l’argument comme quoi j’aurais raté certains points me fait simplement dire que si ce film, malgré une attention accrue, nécessite deux visionnages ou des explications pour être considéré comme « bon », alors il n’en vaut pas la peine. Après, il reste globalement correct, je ne suis pas sorti de la salle en pestant contre le film ! C'est simplement qu'au vu du nom du réalisateur et du budget dont il disposait, on peut s'estimer déçu. 


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