Article 38 : There will be blood

Réalisateur : Paul Thomas Anderson

Genre : Historique / Drame



Après cette escapade surfant sur la vague du tout frais, on va repasser à des films classique. À cet effet, There Will Be Blood est probablement un classique (assez récent, 2007 c’est tout jeune), mais je n’avais jamais eu l’occasion de le voir. Il m’a tellement happé que j’ai décidé d’écrire dessus. Certains messages, bien qu’amenés avec une certaine ironie voire violence qui se suffit à elle-même, sont plutôt intéressants. Plus encore, j’aime beaucoup l’idée principale du film, une sorte de réflexion sur la richesse au sens large.

Soyons honnêtes, les descentes aux enfers de personnages principaux, ce n’est pas nouveau. Je nommerais Barry Lyndon, pour son acte II, comme le plus marquant, mais Requiem For A Dream me vient aussi en tête. Il s’agit souvent de scénarios dont on ne ressort pas transi de joie, mais plutôt assommé par ce à quoi on vient d’assister, dans le bon sens du terme.

Ici, la performance de Daniel Day Lewis apporte beaucoup au film. L’acteur m’avait déjà tapé dans l’œil dans Gang of New York ou même In The Name Of The Father, et son deuxième Oscar pour There Will Be Blood n’est pas démérité tant il arrive à inspirer la sympathie dans un premier temps, puis le dégoût, voire même la pitié sur la toute fin. Ces moments où il embrasse encore et encore son fils sont poignants d’émotions. Pas de compassion, non, mais bien d’un malaise, voire d’une malsanité, si j’ose le néologisme, prenante. Honnêtement, ça m’a donné envie de voir plus de films où il campe le rôle principal, du moins celui de son premier Oscar, My Left Foot.


Alors ce scénario, il ne paye pas de mine dans sa surface, mais on peut y déceler deux thèmes centraux qui méritent discussion : la quête sans fin de la richesse au sens propre, et la religion, posée en antithèse de cette dernière, comme une quête vers la richesse cette fois intérieure. Vous savez, celle qu’on trouve en creusant un peu en soi, et pas dans le sol. Et là où le scénario est brillant, c’est qu’à deux reprises, l’un va montrer qu’il nécessite l’autre.

En effet, Daniel se dévoue tout entier à la construction de sa fortune, quel qu’en soit le prix. Les concessions, il les aime, quoiqu’il n’appréciera pas pour autant en faire : le moindre sacrifice lui demande un effort considérable, et cette facette de sa personnalité apparaît dans un premier temps lorsqu’il refuse à Eli son entrée en scène lors de l’inauguration du puits. Par ailleurs, au début du film, on tend à penser comme lui que ce religieux est un peu mégalo, mais ce point de vue va peu à peu changer.

Daniel trouve refuge dans son fils, une autre forme de richesse, bien que cela se base sur un mensonge. D’abord parce que le garçon n’est pas le sien, mais aussi parce qu’il l’utilise à des fins purement commerciales : on ne se méfie pas d’un père amenant son fils chasser la caille. Cet aspect mensonger ne l'empêchera pas de trouver en H. W. un refuge émotionnel, et c’est bien ce qui le détruira par la suite.

Il défend ce côté « familial » dans son business mais est ironiquement laissé orphelin dans ce monde froid au possible. Il rencontrera son demi-frère, et malgré sa suspicion appuyée sur l’identité de ce dernier, l’accueillera à bras ouverts, pour s'appuyer avec bonheur sur lui. C’est donc évident que lorsqu’il découvre qu’une fois de plus il s’est reposé sur un mensonge, la colère l’amènera à tuer cet homme qui était devenu son ami. Et après cet acte, au lieu de penser qu’il pourrait rencontrer d’autres personnes et tisser des liens avec elle pour ne pas sombrer dans la folie, il décide de fermer sa confiance à jamais. Il déteste l’humanité, et dans cette citation assez marquante « there are times when I look at people and I see nothing worth liking » réside toute la profondeur de cette haine. Il ne pardonnera jamais à ses pairs ce dernier affront. 

Là où le scénario est extrêmement bien construit, c’est qu’il nous montre dans un premier temps un homme totalement dévolu à son travail, et pour qui on éprouve une certaine compassion. Sa réussite est souhaitable, et le discours qu’il tient aux habitants du village qu’il vient plus ou moins coloniser est porteur d’espoir ; développer les écoles, car l’éducation est pilier de la société, pour que ce village en devienne une ville. Et il faut avouer qu’avec son fils, cela rend la supercherie plus crédible.

Peu à peu, l’image s’effrite, l’alcool fait ses ravages, la surdité s’abat sur H. W., l’argent afflue tandis que le bonheur s’effondre. La réalité s’éloigne, et la portée de son existence devient seulement liée à la richesse ; à ce besoin irrationnel basé sur un concept immatériel. Lorsqu’il tue l’imposteur à ses côtés, il ferme définitivement la porte à toute relation sociale extra-professionnelle, et sa fin en devient actée.

Si l'on reste là dessus, on pourrait en venir à une conclusion ayant comme sujet les mauvais côtés de l’argent et du capitalisme, qui mènent à la destruction de l’homme s’il choisit d’ignorer le reste, idée somme toute assez classique. Et c’est là qu’intervient tout l’axe religieux du scénario.


Forcément, au regard de sa morale et de sa philosophie, on ne peut pas dire que Daniel soit très intéressé par cette facette de l’homme. Sa réalité est gouvernée par l’argent, pas par ces balivernes inventées pour vivre avec ses problèmes. Confirmant ses pensées, la religion est montrée sous un jour extrêmement péjoratif à l’entrée du film, à l’opposé de la glorification de la réussite professionnelle à laquelle on assiste. Eli est dépeint comme un fou, avec ses airs de grandeur qu’il se donne, sa requête totalement délirante pour célébrer l’ouverture du puits, et surtout sa manière de soigner les fidèles qui suggère le plongeon dans une secte plutôt qu’au sein d'une communauté religieuse. Par ailleurs, j’aime beaucoup l’interprétation de Paul Dano, cela m’a fait remarquer qu’il a aussi joué dans Prisoners et Twelve years a slave, un acteur qui a du goût donc. Son rôle, oscillant entre une foi dévolue empreinte de naïveté et une colère qu’il peine à contrôler envers la malhonnêteté de Daniel, apporte énormément à la trame du film.

Mais peu à peu, cette religion va prendre davantage de sens. Lorsque Daniel est complètement perdu, au lendemain du meurtre qu’il a perpétré, il se verra obligé de confesser son pêché ; non pas à propos de ce crime, mais plutôt au sujet de l’abandon de son fils, pour quoi il éprouve finalement bien plus de remord. La scène est extrêmement intéressante puisque même si on comprend qu’il se force à se confesser à dessein, un autre point de vue peut-être adopté : le fait de crier peu à peu son crime, d’abord avec réticence, lui en fait comprendre son ampleur. Ainsi, lorsqu’il se chuchote à lui-même qu’il a son pipeline, c’est peut-être pour se convaincre lui-même qu’il n’est pas un mauvais père bien qu’il s’en soit rendu compte à ce moment précis.

Et tout cela est d’autant plus habile qu’il ne s’agit pas de son propre fils. Il se confesse avec une certaine ferveur, grandissante qui plus est, tout en se basant sur un mensonge devenu pilier de son existence.

Il avait probablement besoin d’être sauvé, et la religion apparaissait alors comme le moyen rêvé de renouer avec l’humanité, mais il sera resté dans son aversion pour celle-ci jusqu’à la fin. La fin, parlons-en d’ailleurs : un bond dans le temps, H. W. qui se marie avec la jeune fille du fermier comme le film l’avait laissé deviner, et un Daniel qui semble avoir totalement sombré dans les tréfonds de l’enfer, alors qu’il n’a jamais été aussi riche. Dans cette demeure aussi immense qu’inutile, à l’image de la vanité de la fortune, son fils vient lui rendre visite.

Et jusqu’au bout lui laissera une chance de se montrer digne, de laisser apercevoir un éclat d’humanité. H. W. pardonne tout, et se montrera patient pendant tout l’échange où Daniel ira jusqu’à le considérer comme un vulgaire concurrent, jusqu’à apprendre qu’il ne doit finalement rien à cet homme qui n’est que son père adoptif. H.W. était la dernière porte pour Daniel de se racheter, si toutefois cela était encore possible. Il perd ainsi sa dernière part d'humanité.


Mais le film ne se termine pas là-dessus, et c’est bien Eli qui passe le voir. Cela donne lieu à une fin en apothéose, une scène qu’on pourrait qualifier de mythique, tant elle est surprenante non pas dans son déroulé mais dans son message. Un prêtre éploré, qui semble venir pour réveiller un dernier sursaut d’humanité en cet homme qui en est totalement dépouillé. Et le fim nous apprendra qu'il n'est en réalité présent que pour mendier.

Car l’argent garde sa valeur pour ceux qui n’en ont pas, à défaut d’en renfermer une pour ceux qui n’en manquent pas. Et la religion ne se suffit pas à elle-même en tant que richesse intérieure. Elle ne permet pas de survivre à la pauvreté. Daniel profite de cette éphémère supériorité, jusqu’à en profiter pour perpétrer sa vengeance quant à l’humiliation qu’il avait dû subir auparavant. Il a poussé Eli à dénigrer ce qui le définit au fond de lui-même, en lui faisant répéter qu’il n’était qu’un faux prophète. C’est la victoire du pouvoir de l’argent sur celle de la foi, une morale extrêmement cruelle donc. Victoire qui reste toute relative car, une fois de plus, la fortune n’a pas engendré le bonheur pour Daniel.

Tout ce sacrifice est réalisé pour de l’argent qu’Eli n’obtiendra pas, une fois de plus confronté à la sinistre réalité du monde. En croyant avoir une carte à jouer en mettant sur la table les terres du vieil homme décédé, Daniel lui apprendra que tout a été siphonné.

S’ensuit un déversement de haine et de mépris, Daniel expliquant que la quête d’Eli est vouée à l’échec, par rapport à son frère qui a fait fortune parce qu’il était plus « futé », démontrant une fois de plus la supériorité du pouvoir de l’argent par rapport à celle de la religion. Ses mots sont aussi cruels que violents, je retiendrai ce « You’re just the afterbirth, Eli, that slithered on your mother’s filth » très imagé et tout autant dévastateur. Le meurtre d’Eli à grand coup de quille nous offre une fin bien tarantinesque à toute cette triste histoire. En effet, en réponse au titre, il y a bien eu du sang. D'abord le sang de la terre, puis celui de l'homme. Cette dernière réplique qu'il prononce "I'm finished" fait d'ailleurs peut-être écho à ce titre, de mon côté, j'attendais justement ce moment où il prendrait tout son sens. 

Mais finalement, là où le début du film nous faisait voir Eli comme un illuminé, rendu complètement fou par cette religion que certains méprisent, qu’en est-il de Daniel, emporté hors de ses gonds, mais cette fois par l’argent et ce que cela représente ? En effet, cette création matérielle crée par l’homme a une emprise quasi totale sur certains et en altère leur santé mentale… Comme les divinités, provenant d’une idée immatérielle, peuvent aussi avoir un effet ancré dans la réalité sur chacun.

Cette opposition entre la religion et l’argent en devient presque un appariement, comme deux facettes d’une même humanité. Elles se complètent, et se ressemblent aussi bien sur certains points qu’elles s’opposent sur d’autres.


Et franchement on ne s’attendait pas forcément à en arriver à une telle morale après les cinq premières minutes du film.


Merci d’avoir lu et à la prochaine !

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