Article 40 : Soul

Réalisateurs : Pete Docter, Kemp Powers

Genre : Film d'animation


Des Pixar, on pourrait en parler jusqu’à plus soif. Si Vice-Versa s’est déjà vu traité dans ce blog (il y a cinq ans, ça nous rajeunit pas), je pense que beaucoup mériteraient aussi bien leur article dédié. Personnellement, je n’ai que très rarement été déçu d’un Pixar, et certains figurent tout simplement parmi mes films préférés toutes catégories, notamment Wall-E. Alors quand j’ai appris le sujet du prochain, sur une toile de fonde musicale, forcément, je savais à l’avance que j’en ferai un article de blog. Finalement, je l'ai trouvé passionnant, mais peut-être pas aussi bon que Coco qui officiait dans des sujets similaires, mais avec une trame de fond peut-être plus solide et plus prenante. 

Soul a une particularité parmi ses confrères, celle de laisser perplexe quant à l’opinion qu’un enfant s’en ferait. Les thèmes abordés sont complexes, et s’adressent davantage à l’homme tiraillé entre la perspective d’une vie terne mais bordée de bonheurs simples et celle où les passions s’assouvissent mais bien souvent à des prix défiant l’imagination. Le concept même de la mort et de l’au-delà reste quelque chose de fort pour les plus jeunes, et le fait que le personnage principal s’y retrouve confronté dans les cinq premières minutes du film peut s’avérer quelque peu déroutant.

Cette remarque étant faite, Soul, de part son thème principal qu’est l’esprit sur fond « jazzy », a cette opportunité rare de pouvoir traiter énormément de sujets, et il faut aussi avouer qu’il a du mal à en laisser certains de côté au lieu d’en approfondir d’autres. Le début peut paraître un peu lent, notamment avec cette exposition du monde d’avant, où les âmes reçoivent des traits de caractère. On peut d’ailleurs y voir un regard un peu caustique porté quant à certains défauts qu’on retrouve beaucoup de nos jours (encore un passage qui fera sourire les adultes mais laissera les plus jeunes indifférents, à l’inverse de ce qu’un Disney provoquerait). La vision dépeinte apparaît ainsi comme plutôt amusante, et cela s’enchaîne bien avec le vif du sujet, lorsque le lien entre la Terre et le monde des esprits est créé.

Par la suite, autant l’histoire du bateau et de ses occupants qui nettoient des esprits égarés peut faire hausser un sourcil, autant la représentation de la transe créative s’avère plutôt efficace. Une vision poétique de ces instants où le corps et l’esprit se détachent, laissant libre cours à quelque chose nous dépassant. Encore plus amusant, lorsque 22 interagit avec ces personnes qu’on voit alors dans la réalité perdre pied, c’est simple de s’y identifier notamment quand on s’immerge dans la performance d’une pièce musicale et que, soudainement, un trou de mémoire vient briser le moment. Le principe de ce désert où les âmes s’enlisent fait enfin référence aux passions, qu’elles soient négatives ou positives, qui vous rendent prisonnier d’un état. La dépression de 22 y trouve donc bien refuge, et si l’histoire du trader peut paraître quelque peu cliché, on pourrait aussi bien y trouver une Beth Harmon de Queen’s Gambit lorsqu’elle sombre dans l’alcool !

Les moments de transe, et cet avis n’engage que moi, couplés à ceux d’épiphanie (comprendre, ceux où soudainement la solution à un problème quelconque vient vous frapper d’un coup), consistent en ceux qui justifient l’existence. Et les représenter ainsi, en mettant en valeur leur association avec l’esprit, ainsi que leurs penchants destructeurs que ce soit par leur coût ou parfois leur inaccessibilité, c’est plutôt bien trouvé, il faut le reconnaître. 

S’ensuit donc la réintégration des corps, qui permet principalement à 22 d’expérimenter la vie. Sans trop vouloir m’épancher là-dessus, cette réintégration vient contredire la logique même du film, puisque le héros semble être la seule personne à avoir réussi à s’extraire du chemin de la mort, mais qu’un coma n’est pas vraiment une mort. Une résurrection pure et simple aurait très bien pu fonctionner (et amener un ressort comique à la scène). Une scène plus tard avec ce pauvre chat aux portes de la mort, fort sympathique, et nous voilà contraint à découvrir les petits plaisirs de la vie. Pauvre chat qui d’une manière ou d’une autre réussira tout de même à réintégrer sa forme bien plus tard.

Passons sur ces éléments de logique inhérente au scénario, et intéressons nous au message. D’un côté, ce n’est pas tant l’aspect Balooesque « il en faut peu pour être heureux » qu’il faut retenir, mais plutôt l’intérêt de vivre devant nous animer. C’est drôle parce que dans le roman que j’ai publié (ainsi que dans la suite qui dort sur mon disque dur), je parlais aussi de cette dualité corps esprit et notamment de l’intérêt que le corps a de confronter l’esprit à des sensations, et que si le monde spirituel peut avoir cette perfection de ne confronter à aucune peur de la vie, il manquerait les bonheurs relayés par les sens. C’est notamment illustré lorsque 22 découvre le goût de la pizza qui le rendait indifférent lorsqu'intangible.

Pixar se plaît à mettre en scène des personnages qui passent un cap, souvent celui de l’enfance, et ici, 22 passe le cap de l’esprit aspirant à la vie. Par ailleurs, les prémices de la conclusion se forment notamment lorsqu’on voit que l’approbation de la mère de Joe (représentée comme un des trois moires) a finalement presque plus d’importance que la réalisation même du rêve de cette artiste raté. La reconnaissance des autres, mais plus particulièrement celle des proches, a un fort impact sur le bonheur. Sujet d’ailleurs traité dans La Dissertation Sur les Passions de Hume, parce que oui, parfois il faut des références !

Est également à remarquer la satisfaction du professeur qui voit un élève embrasser sa passion, et même si ici le contexte est celui de la musique, la plupart des enseignants sont effectivement confrontés à des classes où une très faible part de leur public sera intéressé. La situation initiale a de quoi être décourageante, et ne nous mentons pas, elle est plus représentative de la réalité que cette scène de complicité entre un Joe possédé par 22 et cette élève en proie au doute. On peut aussi y déceler l’aspect cruel dans l’éducation qui fait que lorsque quelqu’un est doué dans un domaine, il est souvent moqué par ceux qui n’y sont pas sensibles, rendant souvent le travail des professeurs d’autant plus difficile.

Heureux de leurs (re)découvertes, nos deux compagnons, au prix de moult pérégrinations dans un New-York flamboyant, en viennent finalement à être capturés par ce rat de la comptabilité (ah ces comptables et ces traders, de parfaits antagonistes). Mais bien qu’ils parviennent à nouveau à la case départ, le badge de 22 sera complété. Pourtant, on n’aura pas connaissance de la passion qui lui sera associé, et Joe révèlera une face assez sombre de son obsession lorsqu’il s’attaquera à 22 comme si ce dernier lui avait volé son rêve.

Et déjà là, une morale sur cette recherche d’un idéal supposé se dessine, tous les sacrifices justifient-ils cette fin ? C’est ce que va nous laisser découvrir une des dernières séquences de Soul, la résolution où le héros arrive finalement à son objectif. Un concert sans heurts, car il est nécessaire que tout se passe comme il l’avait imaginé, un triomphe de jazz, qui nous rappellerait presque certaines scènes de La la Land.

Et puis, une fois l’extase passée, toute une redescente s’ensuit. Une morale magnifiquement transmise par cette saxophoniste de caractère, lorsqu’elle fait comprendre à ce poisson qui voulait découvrir l’océan que l’eau dans laquelle il vit n’en est pas vraiment différente. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Un triomphe ne propulse pas dans une vie de rêve, et même vivre de sa passion nécessite d’être présent, le lendemain, à une certaine heure, pour refaire la même chose.

Et ouais, pas si différent que ces fieffés comptables et traders.

Le scénario se termine sur le retour de Joe dans le monde des esprits, et une représentation plutôt imagée de la dépression. Si d’apparence 22 montrait son indifférence quant au fait qu’elle n’ait pas l’accès à la Terre et donc à la vie, les remarques de ses mentors lui ont fait bien plus de mal que ce qu’on aurait pu croire, le pire étant bien sûr Joe. Tout comme le bonheur vient de ceux qui nous sont proches, les reproches qui nous paraissent les plus douloureux sont émis par ceux à qui nous avons accordé notre confiance. Joe arrivera tout de même à se racheter, nettoyant cette dépression et permettant à 22 d’accéder enfin à la chance de la vie. Lui-même reviendra face à la mort, prêt cette fois à l’accepter, mais aura tout de même droit à profiter autrement de la vie.

 

L’histoire de 22, c’est l’ascension d’un être qui nourrissait un déni total et qui en comprenant la nature de ce qu’il ne voulait pas considérer, a finalement compris qu’il en avait besoin. L’histoire de Joe, c’est celle d’un homme qui voulait rester éternellement jeune, à la recherche d’une passion qu’il a idéalisée, et qui réalise finalement que d’autres choses importent. La morale n’est donc pas qu’il faille profiter des plaisirs de la vie, et encore moins de se contenter seulement de ce qu’on a sans chercher à avoir plus, elle défend davantage l’intérêt de se montrer reconnaissant des choses qui nous rendent heureux, et de ne pas se bercer d’illusions. Et ce que ces illusions, face à une perspective quelconque, soient péjoratives, comme c’est le cas pour 22, ou mélioratives, comme c’est le cas pour Joe. Remettre en question ses convictions apparaît donc également comme une nécessité, le plus souvent par une prise de recul. Par ailleurs, bien que cela puisse paraître cliché, valoriser le chemin davantage que le résultat est tout aussi important. Dans une société qui nous pousse par ailleurs à vouloir encore et encore sauter les étapes simplement pour atteindre l'objet de rêves parfois illusoires, ça fait du bien de s'en rappeler. On apprécie d'autant plus une récompense lorsque l'on a la sensation de l'avoir méritée et de s'être battu pour l'obtenir.

Encore une fois, à aucun moment le fait de rêver ou de s’imaginer des avenirs plaisants n’est décrié, au contraire. Mais le film réussit à ne pas trop tomber dans la niaiserie lorsqu’il fait comprendre que la passion n’est pas le but de la vie. Que ces idéaux auxquels certains s’attachent tant ne sont pas tout. C’est le plot twist final, lorsqu’on comprend que cette dernière case qui manquait à 22 n’était pas une passion mais plutôt l’étincelle de l’envie de la vie, qui nous le dit très bien : la vie peut s’apprécier sans s’imposer de quête, et il est vrai qu’on peut avoir tendance à négliger ces moments simples, et pourtant si importants lorsqu’ils en viennent à manquer.

 

TLDR : Soyons reconnaissants de ce que nous avons, prenons du recul, remettons nous en question mais ne cessons jamais de rêver.

https://www.youtube.com/watch?v=Pvtlt-p7vB4 – Be thankful for what you’ve got – William DeVaughn : histoire de rester dans le thème de la Soul. 

Bonne année à tous !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Umineko When They Cry

Hors-série 2 : Starcraft

Article 5 : Gladiator