Article 39 : The queen's gambit

Scénariste : Scott Frank

Adapté de : Walter Tevis

Genre : Fiction




Quelle claque. Et même si c'est vu et revu d'aimer cette série, j'assume totalement d'avoir été totalement happé par l'histoire qu'elle propose. pas d'inquiétudes, j'aurais quand même quelque critique à lui adresser. 

J’ai assisté à quelque chose de tellement lisse, de tellement bien amené, scénarisé, justifié, développé, que j’ai l’impression qu’il s’agissait tout simplement d’une masterclass du réalisateur, nous montrant comment on fait un truc qui marche. Un scénario qui coule, aussi fluide et clair que l'eau de Grenoble. Que ce soit la critique média, ou la critique spectateur, The Queen’s Gambit réussi le pari insensé de faire l’unanimité. 

Alors pourquoi ? Pourquoi tant d'éloges ? Qu’est ce qui fonctionne si bien ? Que l’actrice principale ait un charme indéniable ? Sans doute. Mais pas que.

La trame m’a personnellement beaucoup touché, pas parce que j’ai vécu des drames aussi durs que ceux traversés par Beth, restons sérieux cinq minutes, mais bien parce que le thème du jeu, et plus précisément du jeu compétitif est quelque chose que je trouve passionnant. Ajoutons à ça des volutes sur la famille, la place de la femme dans la société, ainsi qu’une approche de la religion, cette dernière traitée cette fois avec une connotation négative, et on obtient quelque chose de savoureusement fonctionnel, émoustillant nos papilles à chaque match, et nous rendant avide du dénouement de chaque épisode.

Elles sont rares les séries qui se montrent encore aussi accrocheuses, et pourtant, là, il n’y a eu aucune résistance possible. Mauvaise ouverture dès le début, des trades peu efficaces, et la reine me met en échec et mat au bout d’à peine dix minutes : je dois me rendre à l’évidence, il faut que je la binge-watche.

Le tout se décline donc en sept épisodes, sept cases à parcourir sur l’échiquier pour que le pion qu’est la jeune Beth se métamorphose en cette reine qu’est Miss Harmonds. Sept épisodes avant que cette image ne prenne tout son sens, car c’est bien ainsi que la jeune prodige mettra en échec et mat le maître vétéran lors de leur confrontation finale. 

Le pitch est simple : la jeune fille devient orpheline suite au suicide de sa mère, et est recueillie au sein d’un orphelinat nourri par la religion. Quelques tacles sont adressées sur le sujet, notamment avec cette orpheline de couleur de peau différente, qui ne sera jamais adoptée, et surtout cette distribution de drogues censées limiter les idées noires des résidents. Il s'avèrera toutefois que ce vice sera le déclencheur du potentiel de Beth. Par curiosité, elle se rattachera ensuite à un jeu, les échecs, et y démontrera un potentiel incroyable. Elle défait les habitués sans problème tout en luttant contre une addiction grandissante, qui saura montrer toute son essence dramatique lorsque la jeune fille s’effondre avec le pot de pilules devant toute ces personnes élevée dans le respect de Dieu et de sa volonté. Son salut viendra alors de son adoption, lui permettant d’assister à son premier tournoi, qu’elle gagnera par ailleurs sans trop de difficultés.

Alors oui, c’est un peu gros dans le sens où même les prodiges vont avoir des embûches, et par ailleurs, j’ai trouvé que la notion d’échec (en son sens d'antonyme du succès) faisant progresser était très (trop ?) légèrement abordée. Certes, on assistera à trois défaites durant l’entièreté de la série, mais chaque fois sur des matchs tendus, en finale, alors que tous les matchs subsidiaires sont déroulés comme si les adversaires n’étaient que de vulgaires fétus de paille.

Mais bon, comme toute fiction, il y a quelques petites choses à accepter. Ici, c’est cette invincibilité clairement romancée qu’il est nécessaire d’appréhender pour mieux apprécier le scénario.

Mais poursuivons. Les victoires s’enchaînent, et la petite Beth nous dévoile ses deux passions : les échecs, mais aussi les habits, montrant qu’elle peut tout autant faire preuve d’une charmante féminité que d’une férocité totale lorsqu’on la place devant un plateau d’échec. Et il faut dire que l’approche est appréciable. Tout le sujet virant un peu au féminisme est bien amené, au point que dès le début, on peut trouver une grande satisfaction dans le fait de voir une adolescente enchaîner les victoires face à tous ces hommes imbus d’eux-mêmes, d'assister à l'effondrement de leurs convictions, au point qu’ils n’aient d’autres choix que de devenir proie à la remise en question. À noter qu'elle-même ne défend pas ce point de vue féministe : elle aimerait d'ailleurs qu'on valorise ses victoires comme si elle était un homme, et non pas qu'on s'extasie devant le fait que ce soit une femme qui soit capable de telles prouesses. C'est sa volonté de faire paraître son talent avant sa nature qui transparaît par ces mots, et il s'agit d'un message qu'on pourrait presque penser comme étant adressé à nous aussi, les spectateurs.

On suit également ses aventures concernant les découvertes de son corps, que ce soit par la survenance de ses règles en plein milieu d’un tournoi, et même sa première fois, décevante, laissant la place à d’autres expériences, où petit à petit elle fera sa quête du plaisir féminin. Une écriture très moderne donc, pour une personne en plus à la limite de l’autisme (il suffit de s’intéresser à certaines de ses interactions sociales où elle peut rester silencieuse pendant assez longtemps), qui encore une fois fonctionne à merveille. Par ailleurs, ces relations n’apparaissent pas aussi superficielles qu’elles n’auraient pu l’être. Et pourquoi ? Parce que les personnages secondaires font l’objet d’un développement remarquable, se montrent tout autant attachants que Beth, et ont une psychologie qui vaut le détour. Comme quoi, il y aurait vraiment des ingrédients pour qu’un film / une série fonctionne bien.

Cette héroïne n'aura finalement qu'une seule faiblesse : cette addiction aux drogues, qu’elle surmontera finalement sans trop de difficultés. Presque trop facilement d’ailleurs. C’est davantage les chagrins causés par la perte d’abord de sa mère biologique puis de sa mère adoptive qui lui feront du mal, un mal qu’elle déversera dans la drogue et l’alcool. Au point que ces effets négatifs, un peu survolés dans la série, peuvent laisser penser qu'une des morales de la série conclurait sur l'aspect positif des drogues, notamment sur leur utilisation dans l'objectif d'y découvrir d'éventuels potentiels cachés. N'oublions pas que dans la quasi-totalité des cas, ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent. On entend davantage parler de descente aux enfers, notamment au sein des sphères exposées au public, que de transcendance et de révélation de talent. Là encore, une liberté prise qui nous fait comprendre qu'on reste dans une fiction, avec ce côté trop beau pour être vrai qui se révèle sur la fin. 

Les attentes concernant cette addiction sont d'ailleurs vite résolues : là où on aurait pu croire à un côté plus dramatique, le show se termine de façon radieuse. Cet Happy Ending a un côté très hollywoodien et nuit par ailleurs à la crédibilité de ce qu'on nous montre. Si on pourrait presque croire à l'existence de cette femme, quoique l'histoire lui aurait fait une place plus importante, cette sensation comme quoi l'héroïne serait protégée par la main invisible du scénariste peut être éprouvée. 

Mais ça reste suffisamment léger pour ne pas être dérangeant. Plus encore, en s'affranchissant de cette pertinence, de la possibilité de tourner ce scénario en drame, le résultat n'en est que plus efficace en termes de sensations. Certes, le rendu est dénué d'aspérités, ce qui le rend moins crédible, mais après tout une histoire peut aussi se permettre de simplement se focaliser sur une issue favorable pour son personnage principal, sans avoir à laisser une part d'amertume chez le spectateur. Au delà du scénario, il faut également saluer le travail de mise en scène, de costumes et de décors qui nous permet d’être totalement plongé dans cette Amérique de la guerre froide. Forcément, cela contribue grandement à une totale immersion dans le récit, permettant de pardonner d'éventuels écarts. 

Maintenant que le sujet est bien entamé, on peut s'intéresser plus particulièrement à la façon dont le concept du jeu est abordé, et sur la compétition en général. De l’image que cela en renvoie, du prix que l’excellence coûte. Ce qu'on peut trouver pertinent ne réside pas que dans le suivi des parties coup par coup (qui est extrêmement bien exécuté, et satisfaisant qu'on soit néophyte ou expert), mais c’est aussi ce qu’il y a derrière, et toute la tension que cela crée.

Parce que certes, Beth a un don, mais elle travaille aussi sans relâche. On la voit lire des livres et des livres imbuvables de stratégie, et ce durant tout le long de la série. On la voit simuler dans son esprit des tas de scénarios, de parties, lui prenant un temps considérable. Le monde de la compétition, de la compétition de l’esprit et non pas du corps, a quelque chose de sidérant lorsqu'on voit à quel point certains se dévouent entièrement à la cause de la victoire. Et cette série a le mérite d'en montrer les dessous, d'à quel point le talent ne fait pas tout. 

Et il y a même une emphase sur le style de jeu d'Elizabeth. Non contente de gagner, elle le fait avec panache, avec un style de jeu agressif qui aux échecs revient à échanger efficacement les ressources pour ne jamais relâcher la pression sur l’adversaire. Forcément, là aussi on a le côté romancé de l’histoire, parce que le style n’est pas toujours suffisant pour arracher la victoire. C’est d'ailleurs intéressant de voir la discussion entre Beth et Benny à ce sujet, ce dernier faisant savoir que la manière « ennuyante » qu’a Borgov de jouer ne doit pas être négligée.

Bref, du travail, du style, mais aussi parfois la nécessité de devoir passer par des stratégies moins plaisantes pour gagner. Personnellement, ayant déjà touché à des niveaux compétitifs à Magic, qui allie la stratégie inexorable des échecs au bluff et à l’aléatoire du poker, on constate bien vite que la compétition dans le jeu va bien vite au-delà du simple plaisir. Il est parfois nécessaire de se rabattre sur les règles de l’art, même si le jeu peut alors sembler moins excitant. De même, une part de travail est nécessaire, refaire encore et encore les schémas classique de parties, pour les maîtriser puis mieux improviser lorsque cela s’avère nécessaire. Enfin, j’ai adoré suivre l’histoire d’une joueuse y allant au feeling, parce que j’ai toujours trouvé que c’était une manière de jouer qui avait une certaine efficacité, quoique difficile à transmettre puisque plutôt subjective. C'est probablement la raison qui a fait que j'ai personnellement été happé par cette narration, avant même d'avoir vu que la série faisait un carton auprès de l'ensemble du public.

Ce côté se voit donc bien traité, et puisqu’il s’agit du sujet principal de la série, c’est d’autant plus appréciable. Beth dégageait suffisamment d’empathie pour que le spectateur se sente vraiment derrière elle lors des parties importantes. Allier cette solide trame de fond aux différentes intrigues causées par la famille, la religion, la drogue et l'amour permet d'en recueillir une histoire qui se laisse parcourir avec aisance. 

Et je pourrais discuter de ces sujets annexes encore un peu mais il me semble que l'article est déjà suffisamment long comme ça. Pourtant, ces derniers permettent bien la construction de ce personnage qu'on prend plaisir à suivre, démontrant l'importance de donner un passé, des embûches, des refuges et des horizons à une personnalité lorsqu'on la construit. Car c'est bien ce qu'on peut retenir de The Queen's Gambit : cette attention toute particulière portée sur la crédibilité et la pertinence de ses personnages, et ce en à peine sept épisodes. Le fond de la série n'est d'ailleurs pas transcendant, mais se voit complètement sublimé par cette maîtrise apportée quant à sa forme et ses détails. Tout est logique, tout s'imbrique parfaitement, et il m'a semblé assister au déroulement d'une parfaite partie d'échecs. 

 


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Umineko When They Cry

Hors-série 2 : Starcraft

Article 5 : Gladiator